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sont nombreuses, filles insoumises, coureuses d’aventure, faisant la débauche le soir, le jour le vol à la détourne, j’en ai vu qui portaient sur leurs bras de tout petits enfans, et donnaient sans effort la repartie aux propos salés qu’on leur lançait. Il y a là aussi des filles de la haute prostitution et ceux qui les hantent ; au sortir d’un café à la mode du boulevard des Italiens, elles ont rencontré un gamin ou un cocher de fiacre qui les a prévenues qu’une exécution capitale se préparait ; il leur a offert, moyennant 20 francs, de les conduire près de la Roquette ; avec joie, elles ont accepté cette partie de plaisir et elles sont venues. Celles-là et leurs compagnons ne sont pas un moins triste spectacle ; leur visage, où la peinture effacée laisse transparaître un teint jaune et morbide, leurs belles toilettes fripées par le frôlement de la foule, la fatigue de leurs traits flétris, montrent le vice à nu, dans ce qu’il a de moins excusable, de plus provoquant. A l’exécution de La Pommeraye, il y en eut qui apportèrent de quoi souper, sans oublier le vin de Champagne.

Il faisait presque froid. L’exécuteur, assis devant la muraille de la Grande-Roquette sur une chaise, avait regardé dresser l’échafaud sans dire une parole et sans mettre la main à la besogne. Le chef de l’équipe vint le prévenir que tout était terminé, il gravit alors les marches et il apparut sur la plate-forme. Minutieusement il examina toutes les parties de la machine, fit jouer le glaive qu’on laissait lentement glisser, et sur lequel il appuyait fortement de la main pour en assurer le jeu régulier. Promenant sa lanterne devant chaque boulon, autour des jointures, essayant les ressorts, donnant à toute chose, en un mot, le coup d’œil du maître, il reconnut que nul accident n’était à redouter. Quelques soldats sortis du poste tournaient autour de l’instrument du grand supplice ; ils se parlaient à voix basse, comme on fait involontairement dans la chambre d’un mort, et se montraient du doigt l’énorme couteau remonté, dont la forme triangulaire paraissait formidable. Vers trois heures du matin, une rumeur prolongée sortit de la foule ; un bruit rhythmique de pas scandés s’accusa, que dominait le hennissement des chevaux. C’était la garde de Paris qui arrivait ; 120 hommes à pied, 80 à cheval, ouvrirent la masse des curieux et se déployèrent sur la place. Quelques commandemens retentirent, on entendit le froissement métallique des fusils, et les pelotons allèrent prendre position. 120 sergens de ville d’arrondissemens, 70 de la brigade centrale, sous la conduite de 4 officiers de paix, maintenaient l’ordre et bordaient les trottoirs, au-delà desquels ils repoussaient les impatiens. Un peu plus tard, 26 hommes à cheval de la gendarmerie de la Seine, grandis par leur incommode bonnet à poils, vinrent former un demi-cercle