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Louisette — en l’honneur des heureuses modifications que le chirurgien Louis y avait apportées ; mais cela ne dura pas, et le nom de guillotine est devenu impérissable. Elle fonctionna la première fois pour un voleur de grand chemin nommé Pelletier, qui fut décapité le 27 mai 1792. Guillotin ne se tenait pas d’aise : plus d’infamie léguée aux enfans, plus de maladresse à redouter. Dans son enthousiasme, il dit un mot sinistre qu’on a retenu : « sans l’appréhension de la mort, on n’éprouverait aucune souffrance, car on ne ressent tout au plus qu’une légère fraîcheur ! » Le pauvre homme devait changer de langage, et lorsqu’il vit à quoi servait, dans ces temps d’effroyable confusion, ce qu’il aimait à appeler « son philanthropique instrument, » il fut bien près d’être désespéré. On a dit que lui-même, ayant été guillotiné, avait pu apprécier la perfection de sa machine : c’est une erreur ; il est mort à Paris, rue de la Sourdière, le 26 mars 1814, à l’âge de soixante-seize ans.

La guillotine est aujourd’hui plus légère, moins ample, plus maniable qu’autrefois ; mais c’est toujours le même instrument, et les modifications qu’on lui a fait successivement subir n’ont rien changé ni à son mécanisme particulier ni à sa forme générale. C’est une estrade carrée de 4 mètres de long sur 3m80 de large ; elle est dressée à 2 mètres du sol sur quatre chevalets. Le plancher est entouré d’une balustrade à claire-voie, on y monte par un escalier de dix marches. Aux deux tiers de la longueur s’élèvent deux montans parallèles couronnés d’un linteau qu’on appelle le chapeau ; ils ont une hauteur de 4 mètres et un écartement de 37 centimètres ; au chapeau est fixé le glaive, composé d’une lame d’acier triangulaire emmanchée à l’aide de trois boulons dans un mouton de plomb qui lui donne un poids considérable. Le mouton a 35 centimètres de large et la lame 30 à sa plus grande largeur ; la hauteur totale de l’un et l’autre est de 80. A un mètre du parquet, deux planches, placées l’une au-dessus de l’autre dans le plan vertical et percées chacune d’une demi-circonférence, offrent exactement, lorsqu’elles sont réunies, l’apparence d’une pleine lune ; la partie inférieure est fixée aux montans, la partie supérieure mobile, glissant dans des rainures latérales, peut être haussée ou abaissée à volonté. Entre les poteaux et la dernière marche de l’escalier se trouve la bascule, planche étroite, faisant directement face à la lunette. Au repos, elle est verticale ; il suffit d’un geste de propulsion pour la rendre horizontale ; en s’abattant, elle tombe sur une tablette solidement étayée, plus longue qu’elle et aboutissant aux planches de la lune. La bascule, garnie de galets, roule sur cette table, et par une action très rapide porte le cou du condamné sur la demi-lune inférieure de façon à l’y emboîter. A droite de la bascule, et y tenant par des charnières, un plan incliné est disposé de manière à