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l’empire. Retenu sous une étroite surveillance, Domitien se soumit à toutes les humiliations ; mais son âme pusillanime retrouva son courage chaque fois qu’elle entrevit une guerre lointaine et une armée ; nous avons dit ses instances lorsque les Parthes réclamèrent le secours des armes romaines, ses intrigues auprès des rois de l’Asie pour se faire demander à l’empereur et conduire une expédition contre les Alains. Sa passion déçue perce encore sous le règne de Titus. Suétone assure qu’il conspira plusieurs fois contre son frère ; ses complots ne faisaient craindre ni le poignard ni le poison : son idée fixe était de s’enfuir secrètement, d’aller sur la frontière et de se présenter à une armée qu’il gagnerait par ses promesses.

Enfin Domitien règne, il dispose des légions et du monde romain. Il n’a point renoncé à la gloire des armes, il a trop d’esprit pour ne pas sentir ce qu’a de ridicule le nom d’imperator porté par un citadin inoffensif ; mais il faut d’abord s’établir fortement au pouvoir, se faire aimer des Romains tout en rétablissant l’ordre dans l’administration, tout en ressaisissant les rênes que les mains de Titus laissaient échapper d’abord par tactique, bientôt par faiblesse. Pendant deux ans, le nouvel empereur s’applique à cette double tâche avec une suite et un succès que l’on doit hautement proclamer. Il a devant lui un horizon si vaste que son âme peut se livrer aux projets. Aucune tâche n’est ingrate lorsqu’elle est allégée par l’espérance ; or l’espoir qui rend Domitien heureux et meilleur, c’est d’être un jour un héros. La monomanie de la guerre a été la perte de plus d’un souverain et le fléau de plus d’un peuple ; chez Domitien, elle avait pour excuse le sentiment des convenances personnelles, une conscience vraiment romaine et le désir de justifier un titre que ses sujets ne pouvaient respecter tant qu’il n’avait pas été conquis sur un champ de bataille.

Il attendit quelque temps une occasion favorable ; comme elle ne se présentait point, il prit le parti de la faire naître. Les tribus germaniques qui remplissaient les immenses forêts situées au-delà du Rhin étaient trop belliqueuses et nourrissaient une haine trop juste contre les Romains pour ne pas fournir un prétexte. De tout temps, les généraux romains y avaient multiplié leurs expéditions, réprimant ou suscitant les attaques selon le besoin. Le peuple le plus voisin était les Cattes, puissans depuis la chute des Chérusques ; leur territoire s’étendait depuis le Taunus, à l’ouest, jusqu’au Mein, au sud ; quoique les frontières, dans l’intérieur de la Germanie, fussent moins connues des Romains, il semble qu’ils occupaient l’équivalent de la Hesse. Domitien se jeta à l’improviste sur le pays des Cattes, le cœur ému, couvert d’armes toutes neuves, persuadé que sa volonté suffisait pour coucher des milliers d’ennemis sur les champs de bataille. Tout souverain se croit un grand général par