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contre les citoyens ou leurs femmes, et poursuivit leurs auteurs. D’ordinaire les despotes aiment mieux laisser leurs sujets s’avilir les uns les autres ; l’attention qu’ils apportent aux actes particuliers les détourne des actes publics : c’est une diversion et un spectacle.

Réformateur des mœurs, il réprima le scandale plutôt que le désordre, sachant la société romaine trop corrompue pour lui demander autre chose que le respect apparent des lois. Il défendit aux femmes déshonorées de se faire porter en litière, et les priva du droit de tester et d’hériter. Il chassa du sénat un questeur trop passionné pour la danse, et de son ordre un chevalier qui avait épousé une femme qu’il avait fait répudier par son mari en l’accusant d’adultère. Il punit sévèrement les débauches des vestales, sur lesquelles son père et son frère avaient fermé les yeux. Celles qui n’avaient failli qu’une seule fois étaient simplement mises à mort, celles qui s’étaient livrées à plusieurs amans étaient châtiées selon l’antique usage. Ainsi les deux sœurs Ocellata et Varonilla purent choisir leur genre de mort ; leurs séducteurs furent seulement exilés. La grande vestale Cornélia au contraire fut enterrée vive, tandis que ses complices étaient battus de verges sur la place publique jusqu’à ce qu’ils rendissent le dernier soupir. Telle était la cruauté des lois romaines, tel était le danger de les remettre en vigueur. Domitien cependant paraissait avoir horreur du sang ; il évitait les occasions de le verser ; il répétait souvent les vers où Virgile rappelle les mœurs de l’âge d’or et l’aversion des hommes pour la chair des animaux[1] ; mais il était superstitieux et croyait apaiser ainsi les dieux protecteurs de l’empire. Les fêtes qu’il établit en l’honneur de Jupiter Capitolin et de Minerve, sa divinité tutélaire, prouvent, autant que ses persécutions contre les chrétiens, qu’il était religieux à la façon des Romains.

Sa piété se manifesta surtout par la reconstruction des temples qui avaient été brûlés sous Titus, et que Titus n’avait pu relever de leurs cendres. Le grand sanctuaire du Capitole fut rebâti avec une magnificence inouïe. Les colonnes, du plus beau marbre pentélique, avaient été vues par Plutarque avant qu’on les embarquât au Pirée. L’intérieur fut doré avec une telle profusion qu’on dépensa 66 millions, non pour la seule dorure, comme le dit un auteur, mais pour l’ensemble de l’édifice. Quoique Domitien saisît toutes les occasions de dénigrer dans ses discours son père et son frère, ou de les contredire par ses décrets, il honora leur mémoire en se conformant aux traditions impériales. Il leur fit décerner l’apothéose, leur consacra un temple commun au-dessous du Tabularium, acheva l’arc triomphal de Titus, transforma la maison paternelle en un temple.

  1. Impia quam cæsis gens est epulata juvencis.