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pittoresques, les rives boisées, les aqueducs, les villages à travers les arbres. A Hit, il visite encore ses inépuisables sources de bitume, les carrières de chaux, les marais salans, les mines de soufre et toutes ces richesses naturelles que sait exploiter une population industrieuse. Il revoit Felujah et les ruines de Babylone, que depuis cinq ans les déprédations des voyageurs et des savans ont considérablement dégradées.

Le trajet se poursuivit sans incident notable jusqu’à New-Lamlum, où, lors de son premier voyage, le colonel Chesney avait été dépouillé par les habitans. Le fleuve était débordé, encombré d’embarcations qui servaient à communiquer d’une habitation à l’autre. Cette contrée marécageuse est habitée par les Shiahs, originaires de la Perse, avec lesquels on essaya de lier des relations commerciales ; mais on ne réussit qu’à augmenter leur cupidité.

A El-Kudr, village situé au milieu de massifs de peupliers, l’expédition dut faire couper les bois qui lui étaient nécessaires pour continuer sa route ; mais bientôt la population montra les dispositions les plus hostiles, se mit à danser la danse de guerre, et aurait massacré un des officiers qui était à terre, si l’on n’était venu à son secours. Le gros de la tribu, réuni dans un bois, accueillit le bateau par une décharge générale ; deux coups de canon à mitraille et quelques bombes eurent aisément raison de ces ennemis. On apprit alors que cette agression avait été motivée par l’abattage d’arbres que les habitans regardaient comme sacrés. Ce fut du reste le seul acte d’hostilité qu’on eût à réprimer pendant toute la durée de l’expédition. Au-dessous d’El-Kudr, le fleuve, couvert de nombreuses embarcations, indique une population très dense et une grande activité commerciale. Enfin le bâtiment arrive à Kornah, ville importante, située à la jonction de l’Euphrate et du Tigre et complètement cachée par des dattiers dont les fruits ont une grande réputation chez les Arabes. Les dattes qu’on mange en Europe ne donnent aucune idée des excellens fruits qui, avec le riz, forment la nourriture principale de la population.

La descente et le levé du cours de l’Euphrate sur 1,153 milles de longueur étaient terminés ; il fallait maintenant atteindre le Golfe-Persique par le Shat-el-Arab, formé par la réunion des deux fleuves, et dont la largeur et la profondeur sont suffisantes pour qu’un bâtiment de second ordre puisse le remonter. A Bassora, l’expédition est accueillie avec enthousiasme par les consuls étrangers et les habitans, qui tous veulent contempler le petit bâtiment qui a accompli un voyage de 1,500 milles à travers des tribus sauvages et des contrées peu fréquentées.

D’après ses instructions, le colonel Chesney devait remonter le