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occupés aux travaux des champs. Ils portent des sandales, un mouchoir sur la tête et un vêtement flottant ; quant aux femmes, elles ont une robe de coton bleu ouverte et un ornement d’or dans le nez.

Arrivé à Felujah, le colonel Chesney, bien reçu par le gouverneur, voulut faire une pointe jusqu’à Bagdad, afin de confier au résident anglais, le major Taylor, les renseignemens obtenus jusque-là, et de dresser la carte de la portion de l’Euphrate qu’il venait de parcourir ; mais, chassé par la peste, il reprit son voyage le 10 avril. Au-dessous de Felujah, le fleuve, large et profond, ressemble au Nil pendant l’inondation, mais les rives, fréquentées à cette saison par les Arabes avec leurs troupeaux, sont bien plus animées. — Nous ne pouvons suivre notre voyageur dans toutes ses étapes, ni visiter avec lui les nombreuses ruines qu’il rencontre, et dont les plus importantes sont celles de Babylone, situées à peu de distance de la rive gauche. On aperçoit d’abord un rempart quadrangulaire, au-delà duquel se trouvent les restes des palais. Des arcs-boutans, des briques jaunes réunies par un ciment inaltérable, indiquent l’emplacement des jardins suspendus, sur lequel un cèdre isolé semble pleurer la mort de ses congénères. A l’ouest sont les ruines de Babel, auxquelles des ouvrages avancés en forme de tour, placés au sommet de chaque angle, donnent un caractère particulier. Rien ne saurait décrire l’impression de tristesse que cause la vue de ces ruines que ne foule plus aucun être humain, et qui servent de repaire aux animaux féroces.

A mesure qu’on descend, le fleuve s’élargit et se subdivise en plusieurs canaux ; aux environs de New-Lamlum, il inonde les plaines voisines pendant les hautes eaux, et recouvre les marais qui étaient autrefois le lac de Chaldée. A cette époque de l’année, les habitans démontent leurs maisons de roseaux, et émigrent dans leurs bateaux avec leurs femmes et leurs enfans.

Jusque-là tout avait bien marché, et le colonel n’avait point eu trop à se plaindre de ses relations avec les habitans ; mais à New-Lamlum, les Arabes, en l’absence de leur cheik, lui prirent ses provisions, ses habits, son argent, et allèrent jusqu’à le menacer de mort. A son retour, le cheik, au lieu de lui faire restituer son bien, lui enleva ce qui lui restait, ne lui laissant que sa montre, qui échappa par hasard au pillage ; à cette condition, il put continuer sa route. — A Kornah, le Tigre se réunit à l’Euphrate, et, sous le nom de Shat-el-Arab, forme avec lui un puissant cours d’eau que les bâtimens d’un assez fort tonnage peuvent remonter en tout temps. A 50 kilomètres de l’embouchure, sur la rive droite du fleuve, se trouve Bassora. Autrefois importante, cette ville n’a plus que 60,000 habitans, la plupart Arméniens ; son commerce,