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n’auraient pas toutes la même valeur à nos yeux. Par exemple, n’osant encore s’émanciper de l’Écriture, considérée par lui comme une autorité infaillible, il tord et retord les textes pour en éliminer la doctrine d’un diable personnel se mêlant aux actions et aux pensées des hommes. Cependant il rend attentif à bien des détails non remarqués avant lui, et dont il résulte que renseignement biblique sur le diable n’est ni fixe, ni un, ni conforme aux opinions du moyen âge. Il soumet à une critique impitoyable tous les argumens usités pour appuyer le préjugé populaire sur des faits tirés de l’expérience. Sa discussion du procès d’Urbain Grandier et des ursulines de Loudun, qui était encore dans toutes les mémoires, dut surtout frapper ses lecteurs. Un fait comme celui-là, qu’on pouvait analyser et discuter pièces en mains, jetait une éclatante lumière sur une masse d’autres faits plus anciens, plus obscurs, auxquels en appelaient constamment les partisans du diable. Pour la première fois aussi, l’histoire universelle était mise à contribution pour exposer l’incontestable filiation des croyances polythéistes et de la croyance chrétienne aux démons. Tout l’esprit du livre se condense dans ces aphorismes de la fin : « Il n’y a de sorcellerie que là où l’on y croit ; n’y croyez pas, et il n’y en aura plus… Débarrassez-vous de toutes ces fables surannées et niaises, mais exercez-vous dans la piété. » C’était une vraie prophétie ; mais il ne fut pas donné à l’auteur de la voir réalisée. A ses opinions irrespectueuses à l’égard de Satan, il joignait le tort, alors très grave aux yeux de l’orthodoxie hollandaise, d’être zélé cartésien. Il fut donc destitué par un synode et mourut peu de temps après ; mais on ne put destituer son livre, qui fit son chemin tout seul, et le fit bien. Depuis lors en effet la cause du diable peut être considérée comme perdue dans la théologie scientifique. Les progrès de l’esprit humain dans la connaissance de la nature et la philosophie moderne firent le reste.

L’esprit scientifique, tel qu’il s’est constitué depuis Bacon et Descartes, ne souffre plus ces conclusions hâtives qui emportaient avec tant d’aisance l’assentiment des siècles où dominait l’imagination, où la promptitude que mettait l’homme à se prononcer sur les sujets les plus obscurs était eu raison directe de son ignorance. La méthode expérimentale, qui est la seule véritable, procure autant de solidité aux thèses qu’elle vérifie, qu’elle inspire de défiance contre tout ce qui sort de son champ d’examen. Sans doute il est des vérités nécessaires que nous ne pouvons faire passer au creuset de l’expérience ; du moins elles- rachètent cet inconvénient par leur connexion étroite avec notre nature, notre vie, notre conscience. Si, par exemple, on pouvait dire que la croyance au diable se recommande par sa haute utilité morale, qu’elle améliore ceux