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Quand enfin elle est bien et dûment convaincue, elle est livrée au bras séculier, qui doit la mener à la mort… sans phrase.

Il est facile de voir par ce bref aperçu que les malheureuses qui tombaient sous les griffes de ce terrible tribunal n’avaient qu’à laisser l’espérance à la porte de leur prison. Rien de plus désolant que la revue attentive des procès en sorcellerie. Les femmes sont toujours, comme l’expliquent doctement les inquisiteurs, en majorité. Les haines, les jalousies, les vengeances, surtout les soupçons inspirés par la misère et l’ignorance pouvaient se donner libre carrière, et n’y manquèrent point. Souvent aussi de malheureuses femmes furent les victimes de leur propre imagination, surexcitée par un tempérament hystérique ou par la terreur de l’enfer éternel. Ceux qui de nos jours ont pu examiner de près les cas de mania religiosa savent avec quelle facilité les femmes surtout se croient l’objet de la réprobation céleste et fatalement vouées au pouvoir du diable. Toutes ces infortunées, que nous traitons aujourd’hui avec une extrême douceur dans des institutions spéciales, durent passer pour des possédées ou des sorcières, et ce qui est affreux, c’est que beaucoup crurent sérieusement l’être. Beaucoup racontèrent qu’elles avaient en effet été au sabbat, qu’elles s’y étaient livrées aux plus ignobles débauches. Combien de pareils aveux aggravaient ensuite la position de celles qui niaient avec la fermeté de l’innocence les turpitudes dont elles étaient accusées ! La torture était là pour leur arracher ce qu’elles refusaient de dire, et ainsi s’enracinait dans l’esprit de juges, même relativement humains et équitables, la conviction qu’en outre des crimes commis par les moyens naturels il y avait toute une série de forfaits d’autant plus redoutables que leur origine était surnaturelle. Comment déployer trop de rigueur contre de pareils coupables ?

Dans la seule année 1485 et dans le seul district de Worms, 85 sorcières furent livrées aux flammes. A Genève, à Bâle, à Hambourg, à Ratisbonne, à Vienne, dans une foule d’autres villes, il y eut des exécutions du même genre. A Hambourg, entre autres, on brûla vif un médecin qui avait sauvé une femme en couches abandonnée par la sage-femme. L’an 1523, en Italie et après une nouvelle bulle contre la sorcellerie lancée par le pape Adrien VI, le seul diocèse de Côme vit brûler plus de cent sorcières. En Espagne, ce fut pis encore : en 1527, deux petites filles de neuf à onze ans dénoncèrent une masse de sorcières qu’elles prétendaient reconnaître à un signe dans l’œil gauche. En Angleterre et en Écosse, la politique s’en mêla ; Marie Stuart était particulièrement animée contre les sorciers. En France, le parlement de Paris avait eu l’heureuse idée en 1390 d’enlever cette sorte d’affaires au for ecclésiastique, et sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII il n’y eut presque