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Nous pourrions accumuler ici les détails semi-burlesques, semi-tragiques ; nous préférons marquer les points saillans du développement de la croyance. Au moment où nous sommes arrivés, il faut l’envisager sous un nouveau jour. Chez les Juifs des derniers temps avant notre ère, Satan était devenu l’adversaire proprement dit du Messie, — chez les premiers chrétiens, l’antagoniste direct du sauveur des hommes ; mais au moyen âge le Christ est au ciel, bien loin et bien haut : l’organisme vivant, immédiat, devant réaliser son royaume sur la terre, c’est l’église. Par conséquent ce sont désormais l’église et le diable qui auront affaire ensemble. La foi du charbonnier consiste à croire ce que croit l’église, et quand on demande au charbonnier ce que croit l’église, le charbonnier répond intrépidement : Ce que je crois. De même, si l’on demandait pendant cette période : Que fait le diable ? on devrait répondre : Ce que l’église ne fait pas. — Et qu’est-ce que l’église ne fait pas ? — Ce que fait le diable. — Et tout serait dit par là. Les sabbats, que les anciens conciles appelés à s’en occuper relèguent encore dans les régions imaginaires, sont devenus quelque chose de très réel. L’idée germanique de féauté, c’est-à-dire l’idée que la fidélité au suzerain est la première des vertus, comme la trahison du vassal est le plus grand des crimes, s’est introduite dans l’église, et n’a pas peu contribué à donner à tout ce qui se rapproche d’une infidélité au Christ les couleurs de la plus noire dépravation. Le sorcier du reste est aussi fidèle à son maître Satan que le bon chrétien à son suzerain céleste, et de même que chaque année les vassaux viennent rendre hommage à leur seigneur, de même les hommes-liges du diable s’empressent d’aller lui rendre un honneur pareil, tantôt à jour fixe, tantôt sur une convocation spéciale. C’est encore une transformation du mythe celte et germain de la chasse sauvage ou du grand-veneur que les courses échevelées à travers les airs des sorciers et des sorcières s’empressant au rendez-vous nocturne ; mais le maître qui a donné ce rendez-vous est une sorte de dieu, et dans les grandes assemblées de la tribu diabolique on l’honore surtout en célébrant le contraire de la messe. On adore l’esprit du mal en retournant les cérémonies qui servent à glorifier le Dieu du bien. Le nom lui-même de sabbat provient de la confusion qui s’est opérée entre le culte du diable et la célébration d’un culte non catholique. Aussi l’église met-elle absolument sur le même rang le juif, l’excommunié, l’hérétique et le sorcier. Une circonstance contribua beaucoup à cette confusion. La plupart des sectes révoltées contre l’église, celle surtout qui tient une grande et lugubre place dans notre histoire nationale, l’hérésie dite albigeoise, étaient pénétrées à un haut degré du vieux levain gnostique