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le changement qui s’était accompli dans l’intervalle de la rédaction des deux livres. Dorénavant le monothéiste reportera sur l’adversaire les mauvaises pensées et les calamités qu’il eût jadis fait remonter directement à Dieu. Il est même à présumer qu’il trouvera quelque soulagement religieux à cette solution de certaines difficultés qui doivent commencer à lui peser, car, à mesure que la notion de Dieu s’élève, on ne peut plus se contenter des théories naïves qui avaient pu suffire à des âges moins réfléchis.

Le rôle d’adversaire des hommes, de malintentionné, de l’ange Satan, voilà l’origine proprement dite du diable juif et chrétien. Il ne faut donc pas l’identifier brusquement avec les divinités plus ou moins méchantes des religions polythéistes. Qu’il ait avec elles des affinités qui deviendront de plus en plus étroites, c’est ce que nous admettons pleinement ; mais enfin son acte de naissance est distinct, et, dans la supposition même où les Juifs n’auraient jamais été en contact avec les Perses, nous aurions reçu de la tradition juive un Satan aimé de pied en cap. Satan n’est donc ni le fils ni même le frère d’Ahriman ; mais on peut dire que le temps vint où la ressemblance fut si grande qu’il fut possible de les confondre. En effet, dans les livres dits apocryphes de l’Ancien-Testament et qui se distinguent des livres canoniques du même recueil par les élémens alexandrins et persans qu’ils renferment, on voit Satan grandir en importance et en prestige. Les septante en traduisant son nom par diabolos, d’où vient notre mot diable, définissent encore exactement son caractère primitif d’accusateur ; mais désormais il est bien autre chose que cela. Il est agent provocateur de première classe. C’est un très haut personnage qui comptait parmi les anges de premier rang, et qui, jaloux de s’élever plus haut encore, a été banni du ciel avec les autres anges complices de son ambition. Maintenant la haine de Dieu se joint chez lui à la haine des hommes. Voilà l’imitation d’Ahriman qui commence. Comme le dieu persan, il est à la tête d’une armée d’êtres méchans qui exécutent ses ordres. On en connaît plusieurs par leurs noms, entre autres Asmodée, démon de la volupté, qui joue un grand rôle dans le livre de Tobie, et dont l’origine persane, depuis les savantes recherches de M. Michel Bréal, ne peut plus être mise en doute. Par suite de cette importance croissante et de sa séparation absolue d’avec les anges fidèles, Satan a son royaume à part et sa résidence dans l’enfer souterrain. De même que l’Ahriman persan, il a voulu gâter l’œuvre de la création et s’est attaqué aux hommes, dont le bonheur innocent lui était insupportable. Depuis lors on veut que ce soit lui qui, comme Ahriman, s’est adressé à la première femme sous la forme du serpent. C’est donc lui qui a introduit la mort et ses horreurs ; c’est pourquoi les adversaires qu’il redoute le plus, ce sont