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difficile. Partout où de nos jours on a conservé la croyance aux lutins, aux dames blanches, aux fées, aux sylphes, aux ondines, nous retrouvons ce même mélange de qualités bonnes et mauvaises. Ces derniers débris de la grande armée divine d’autrefois sont tout à la fois gracieux, attirans, généreux quand ils le veulent, mais aussi capricieux, vindicatifs, dangereux. Il importe de relever tout cela du moment qu’il s’agit de rechercher les origines du diable, car nous verrons qu’il est d’ordre composite, et que par plusieurs de ses traits essentiels il se rattache aux élémens sombres de toutes les religions qui ont précédé le christianisme.

Il est toutefois une de ces religions qui, à ce point de vue spécial, mérite qu’on s’arrête un peu plus longtemps sur ses doctrines fondamentales : c’est la religion du Zend-Avesta, ou, pour employer l’expression usuelle, celle des Perses, C’est en effet dans cette religion que la hiérarchie divine et les croyances se montrent à nous dominées par un dualisme systématique s’appliquant au monde entier, y compris le mal moral. Les dieux de lumière et les dieux de ténèbres se partagent le temps et l’espace. Ne parlons pas ici du Zerwan Akérène, le temps sans bornes, qui aurait donné naissance à Ahuramazda ou Ormuzd, dieu du bien, et à son frère Angramainju ou Ahriman, dieu du mal. C’est évidemment une notion philosophique bien plus récente que ce point de vue original et originel de la religion zende, qui ne connaît que deux puissances également éternelles toujours en lutte, se rencontrant pour se combattre à la surface de la terre aussi bien que dans le cœur des hommes. Partout où Ormuzd plante le bien, Ahriman sème le mal. L’histoire de la chute morale des premiers hommes, due à la perfidie d’Ahriman, qui a pris la forme d’un serpent, offre les analogies les plus surprenantes avec le récit parallèle de la Genèse. Là-dessus on a bien souvent prétendu que le récit biblique de la chute n’était qu’un emprunt aux doctrines de la Perse. Je crois cette opinion mal fondée, parce qu’il est question dans le mythe iranien d’un déguisement du génie du mal. Dans le récit hébreu au contraire, c’est bel et bien un serpent qui parle, agit et entraîne toute sa descendance dans le châtiment qu’il s’attire. Il faut donc adjuger à celui-ci le privilège de l’antiquité supérieure, sinon dans sa rédaction actuelle, du moins quant à son idée-mère. La substitution d’un dieu déguisé à un animal qui raisonne et qui parle dénote une réflexion inconnue aux âges de formation mythique. C’est la réflexion aussi qui plus tard conduisit les Juifs à voir leur Satan sous les traits du serpent de la Genèse, bien que le texte canonique soit aussi revêche que possible à cette supposition. Je préfère donc regarder les deux mythes, hébreu et iranien, comme deux variantes inégalement anciennes d’un