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L’ARMÉE PRUSSIENNE
EN 1870

La bataille de Kœnigsgrætz a eu pour l’Europe, pour l’équilibre des divers états, les conséquences les plus graves. Les accroissemens de territoire soudainement obtenus par la Prusse au centre de l’Europe, grâce à la supériorité de son armement, grâce à l’habile emploi des forces de la nation, grâce à une volonté qui écartait tous les scrupules de la conscience et du droit des gens, ont effrayé les états voisins. Les peuples ont dû se prêter à un nouveau déploiement de leurs ressources militaires, précaution à la fois indispensable pour leur sécurité présente et fatale pour leur prospérité à venir. Il devient donc nécessaire d’étudier de près l’organisation des troupes prussiennes, si l’on veut saisir les causes de malaise qui affectent les relations internationales, et se rendre compte des perfectionnemens à introduire dans les institutions de son pays.

Bien des personnes ont voulu voir dans l’armée victorieuse à Kœnigsgrætz le type du peuple en armes. C’est là une grave erreur ou du moins un anachronisme. Le système poursuivi par M. de Bismarck et son souverain, système admirablement mis en œuvre par les généraux de 1866, ne répond pas à cette idée. Une armée qui eût fait corps avec la nation n’eût pas été un instrument convenable pour les audacieuses pensées de celui qui avait déclaré vouloir la grandeur de son pays,… « par le fer et le sang. » La nation, mal disposée pour ceux qui avaient pris en main ses affaires avec un si imperturbable dédain des résistances, eût répudié ou mal servi une politique décidée et mûrie en dehors de son initiative. Sans doute les Prussiens en immense majorité souhaitaient la grandeur de leur patrie, mais avec des scrupules de conscience qui pouvaient