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de l’ancien gouvernement avant les dernières élections. Ce politique parfaitement sagace ne se faisait pas illusion, il prétendait que, quand tous les mêmes hommes seraient élus, ils reviendraient avec un autre esprit. C’est ce qui est arrivé effectivement, et en définitive c’est ce corps législatif qui a aidé à la naissance du nouveau régime. Proclamer sommairement son indignité aujourd’hui, c’est frapper de discrédit tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il fera. Que quelques vieux routiers du régime autoritaire gardent de la mélancolie et ne portent pas dans leur cœur le nouveau ministère, c’est bien possible. La masse de l’ancienne majorité sait bien qu’il y a des réformes politiques qui sont irrévocables, qu’à vouloir revenir en arrière on risquerait de tout compromettre, et qu’elle est intéressée elle-même, si elle ne veut pas aller au-devant de la dissolution dont on la menace, à suivre le mouvement, à organiser, à développer ces institutions qui viennent de renaître. Fût-elle quelquefois un frein, ce ne serait pas un grand mal ; l’essentiel est qu’elle ne soit pas un obstacle. Réforme électorale et dissolution viendront à leur heure ; elles seront d’autant plus efficaces que le terrain sera mieux déblayé, que la situation sera mieux dégagée de tous ses nuages. La question n’est donc pas là pour le moment, elle est dans la manière dont gouvernement et corps législatif entendront et pratiqueront ce régime parlementaire qui se relève, dans l’usage qu’ils feront l’un et l’autre du pouvoir exceptionnel que les circonstances leur donnent, et c’est ici que commence pour eux une véritable et sérieuse responsabilité.

C’est une question de conduite pour le gouvernement et pour le corps législatif. Le ministère du 2 janvier n’a que six semaines d’existence^ c’est bien peu, et c’est beaucoup en certaines heures. Les difficultés ne lui ont pas manqué assurément, et les agitateurs en représentation à Belleville ou ailleurs ont fait tout ce qu’ils ont pu pour lui donner de l’occupation, pour l’obliger à s’inquiéter avant tout de l’ordre public. En six semaines, tout bien compté, voilà deux ou trois alertes. Le ministère a fait face au danger avec la plus calme fermeté, comme s’il n’avait fait que cela depuis longtemps ; il a donné le salutaire exemple d’un pouvoir libéral parfaitement maître de ses résolutions, en état de sauvegarder la paix publique aussi bien qu’un autre. Ce n’est pas tout cependant de disperser quelques émeutiers et de soigner son attitude devant les chambres ; le meilleur moyen de décourager l’agitation et de s’assurer la majorité dans le parlement comme dans l’opinion, c’est de marcher, d’agir, et de ne pas laisser sommeiller l’initiative qu’on a reçue des événemens. On ne fait pas en quelques jours, nous le comprenons bien, une révolution comme celle qui s’accomplit aujourd’hui. L’essentiel serait de ne pas trop sacrifier aux apparences et à une certaine mise en scène du pouvoir, de ne pas trop s’absorber dans des questions personnelles, dans la recherche de rapprochemens inattendus