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REVUE. — CHRONIQUE.

venons ; mais par d’autres côtés, il faut l’avouer, c’est aussi passablement comique. Nous avons l’odyssée lamentable et naïve de cette échauffourée écrite par celui qui en a donné le signal. Il est parti avec cent hommes qu’il a perdus en route, il a engagé des dialogues pleins de douceur avec des soldats qui, en vrais esclaves, ont eu la barbarie de croiser la baïonnette, il a éteint quelques becs de gaz, mis à mal un omnibus, et il a fini par laisser son épée de commandement au théâtre de Belleville, parmi les accessoires ! Franchement l’équipée est triste sans être sérieuse, et il y a une raison pour qu’elle n’ait eu rien de sérieux : c’est que l’opinion n’est certainement pas aujourd’hui aux émeutes et aux barricades, même pour épargner quelques mois de prison à M. Rochefort, qui continue d’ailleurs sa triomphante campagne en datant de Sainte-Pélagie ses décrets de mise en accusation du ministère. L’opinion est pour le moment à quelque chose de plus important, elle est tout entière à l’œuvre qui s’accomplit, et qui est déjà par elle-même assez difficile sans qu’on laisse s’y mêler les excentricités révolutionnaires.

Le vrai problème aujourd’hui est dans la manière dont s’inaugure cette renaissance des institutions libres, et le vrai danger serait de tout brouiller, de tout intervertir du premier coup, de travailler à rétablir le régime parlementaire en commençant par l’ébranler et par le discréditer, ou en se méprenant sur les conditions que lui font les circonstances nouvelles dans lesquelles il revient à la vie. Il est des esprits un peu grisés par une logique apparente des choses, et pour qui la question essentielle, antérieure et supérieure à toutes les autres, est la dissolution du corps législatif. Avant tout, selon eux, il faut dissoudre le corps législatif parce qu’il est entaché du vice de son origine officielle, parce qu’il ne représente plus le pays, parce qu’il contient une majorité qui se prête sans se donner au nouveau ministère, et qui peut devenir tout à coup un instrument de réaction. Le plus pressé est donc d’en appeler au pays, et rien n’est définitif tant que des élections libres n’auront pas assuré au gouvernement transformé une majorité rajeunie. C’est aller un peu trop vite et mettre un peu d’impatience à faire jouer le ressort du suffrage universel. Sans nul doute, une dissolution est possible dans un temps donné, elle peut devenir inévitable, et c’est ce qui fait qu’on doit se préoccuper d’une réforme électorale, ne fût-ce que pour créer un système de circonscriptions plus rationnel et plus juste. En quoi cependant cela implique-t-il la nécessité immédiate et absolue d’une dissolution, qui viendra à son heure, selon les circonstances ? Le corps législatif actuel, cela est bien clair, n’a pas été élu pour la situation que nous avons aujourd’hui et dans les conditions de vie publique qui se sont créées depuis quelques mois. Moralement il est né sous l’influence de ce réveil d’opinion qui est devenu contagieux, il a été trempé dans cette atmosphère nouvelle, et nous nous souvenons d’un mot plein de prévoyance que disait un des membres