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touché, quoiqu’il s’exposât avec un entrain qui convenait peut-être mieux à sa jeunesse qu’à sa position de général en chef. Ses officiers en murmuraient bien un peu ; mais ils ne purent l’empêcher d’entrer l’un des premiers dans les lignes de l’ennemi, salué par les acclamations des soldats. La lutte avait été très sanglante, tout ce qui était dans Peribebuy fut tué, blessé ou fait prisonnier, pas un ne s’échappa ; la place, avec tout ce qu’elle contenait de matériel, avec les papiers de Lopez, ses bagages et ceux de Mme Lynch, tomba au pouvoir des vainqueurs.

Lopez n’était pas présent de sa personne à Peribebuy. Comprenant le danger de la situation, il s’était empressé de se retirer sur Caacupé pour y enlever tout ce qu’il pourrait du matériel qu’il y avait accumulé depuis quatre mois. Le lendemain 13 août, il donnait l’ordre à son armée d’évacuer la position d’Ascurra et de venir le rejoindre à Caraguatay, où il transportait son quartier-général, à quatre-vingts et quelques kilomètres dans le nord-est au-dessus de Peribebuy ; mais cette fois il avait affaire à un général qui était bien résolu à le poursuivre aussi loin et aussi activement qu’il serait possible. Le 16, en effet, le comte d’Eu le surprit à quelques lieues en avant de Caraguatay et lui livra un combat très meurtrier où l’avantage resta encore aux Brésiliens. Le 17, n’ayant pas reçu de distributions depuis quarante-huit heures, ceux-ci s’arrêtèrent pour prendre un peu de repos et attendre le corps du général Emilie Mitre, qui, ayant rencontré sur sa route des obstacles bien plus considérables qu’on ne l’avait supposé, n’avait pas pu rejoindre plus tôt. Il apportait heureusement quelques vivres ; aussi le lendemain 18, nouveau combat, dans lequel les Paraguayens perdent encore une douzaine de canons, et le 21 autre engagement où s’achève la désorganisation de l’armée de Lopez. On essaie de continuer la poursuite pendant quelques milles au-delà de Caraguatay ; mais on tombe dans des marais qui se développent jusqu’à San-Estanislao, où Lopez s’est réfugié, à une centaine de kilomètres plus au nord, et où les troupes ne pourraient pénétrer par la route que les fuyards ont suivie. D’ailleurs les vivres manquent absolument pour les hommes et pour les chevaux, ceux-ci périssent en grand nombre, et les Brésiliens, qui se trouvent portés en si peu de temps si loin de leur base d’opération, sont obligés de changer de plan.

Dans cette série si rapide de brillans combats, la dernière armée de Lopez avait été détruite, toutes ses ressources en matériel avaient été anéanties, il était rejeté au-delà du territoire habité et cultivé, il ne pouvait plus être à craindre ; mais il échappait toujours. Le comte d’Eu, quittant Caraguatay, descendit la vallée du Monduvira en se servant, pour transporter ses malades et ses blessés, des quelques barques que l’on put utiliser, et vint avec ses troupes s’établir