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LA GUERRE DU PARAGUAY.

nistrations et les services spéciaux, ne recevant plus qu’irrégulièrement des directions et des ressources, étaient quelque peu désorganisés ; quant aux chevaux, dont il se fait dans les guerres de l’Amérique une consommation extraordinaire, ce qui en restait était fort au-dessous des besoins. En réalité, presque tout était à reprendre et à réorganiser.

Tandis que le jeune général parait à ces nécessités de premier ordre, le maréchal Lopez avait déjà su profiter du répit qui lui était accordé. Au lieu de s’enfuir en Bolivie, comme le bruit en avait couru après sa défaite à Lomas Valentinas, il était bien vite revenu à l’espérance de tenter encore la fortune, lorsqu’il avait vu qu’il n’était pas poursuivi, pas même inquiété. D’ailleurs son prestige, pour être sans doute atteint par les revers qu’il avait éprouvés, n’était pas évanoui, et le supremo, — c’est le nom que les Paraguayens donnent familièrement à leur chef, — pouvait encore compter sur l’obéissance merveilleuse de son peuple. Aussi, lorsque le comte d’Eu arriva à l’Assomption, le dictateur avait déjà rallié les fuyards, fait de nouvelles levées, réuni les débris de son matériel et repris position.

Si le maréchal Lopez eût été le chef hardi et patriote que l’on nous a quelquefois représenté, il serait allé se jeter alors dans le sud-est, dans la direction du chemin de fer qu’il avait en d’autres temps entrepris de construire pour relier sa capitale avec les parties habitées, cultivées et riches du pays, lesquelles n’avaient pas encore vu les drapeaux ni entendu les canons des alliés. Là, dans un effort malheureux peut-être, mais certainement honorable, il eût essayé d’organiser la résistance, défendant le terrain pied à pied et partageant jusqu’au bout la fortune de ses fidèles ; c’eût été leur rendre dévoûment pour dévoûment. Il ne l’entendait pas ainsi. Dans le cas où le sort des armes eût continué à le trahir, il fût tombé peut-être aux mains de ses ennemis, et c’était un risque qu’à aucun prix il ne voulait courir. Aussi alla-t-il s’établir à une quarantaine de kilomètres de l’Assomption, au nord de la ligne du chemin de fer, dans les gorges du Cerro-Leon, dans les districts que la population si peu considérable du pays n’a pas encore envahis, sur les limites où commencent les solitudes qui lui réservaient le plus de chances d’échapper en cas de malheur. De Luque, station du chemin de fer où il avait transporté le siège de son gouvernement après la chute de Humayta, il le transporta à Peribebuy, derrière les hauteurs du Cerro-Leon, et en même temps il organisait avec son activité habituelle deux manufactures d’armes et de poudre dans deux localités voisines, à Caacupé et à Ibicuy. Quant à ses troupes et à son quartier-général, ils étaient postés