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Dans ces tirailleries, comme on disait dans la langue militaire du siècle dernier, il périt encore beaucoup de monde.

Ainsi se passa le temps jusqu’à la fin de juillet 1867, époque où le général Mitre, étant revenu de Buenos-Ayres et ayant reçu des renforts qui portaient l’effectif de son armée à plus de 40,000 hommes, reprit les opérations actives en changeant tout son premier plan de campagne. Au lieu de se développer par sa gauche, comme il avait d’abord essayé de le faire sans succès, il résolut d’opérer par sa droite. C’était presque renoncer à l’appui de la flotte, c’était s’imposer la condition de n’avancer qu’avec une extrême lenteur, car dans cette direction il était de nécessité absolue de construire pied à pied toutes les routes indispensables aux transports de l’armée ; mais du moins on avait l’avantage de manœuvrer en terrain libre, et, en profitant de la supériorité numérique que l’on avait recouvrée, on pouvait espérer d’envelopper Humayta, et de faire tomber, comme conséquence, toutes les positions dont cette place était la clé. Cette considération était décisive. Aussi le 22 juillet 1867, laissant 12 ou 13,000 hommes dans son camp de Tuyuti, qui pendant tous ces délais avait été complètement retranché, le général Mitre prit avec 30,000 hommes la direction de Tuyucué, qui fut à peine défendu et enlevé sans coup férir.

Toutefois, pendant que ce mouvement se dessinait à l’extrême droite des alliés, il se tentait sur leur gauche une expérience dont le succès allait produire les conséquences les plus importantes pour le résultat de la campagne. Si l’attaque ; dirigée l’année précédente par le général Mitre avait abouti à un échec militaire, elle avait néanmoins fourni un enseignement que l’on voulait mettre à profit. Les bâtimens cuirassés qui avaient été engagés contre Curupaity n’avaient eu, il est vrai, par leur artillerie, toute grosse qu’elle fût, aucun effet sur les murailles de la forteresse ; en revanche, les pièces de fort calibre dont celle-ci était armée n’avaient pas été plus efficaces contre les cuirasses des navires. On tira de ce fait la conclusion que, s’il était inutile d’engager les bâtimens cuirassés dans des combats d’artillerie avec les batteries de la terre, on pouvait du moins les faire défiler presque impunément sous le canon de ces ouvrages, de telle sorte qu’en respectant un ou deux points seulement, mais en les franchissant, on deviendrait maître de toute la navigation et du moyen de communication le plus important de l’ennemi. La plus grande difficulté à vaincre serait celle de ravi- tailler les navires que l’on aurait ainsi lancés en avant ; cette difficulté, on pouvait la résoudre en construisant sur la rive droite du fleuve une route qui servirait à approvisionner ces forteresses flottantes, rapides et invulnérables. On se mit à l’œuvre, et, la route étant à peu près en état, une escadrille brésilienne défila le 15 août