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époque une lettre adressée à sa femme par le général Florès, président de la république de l’Uruguay et commandant du contingent oriental, qui raconte que ses troupes et lui sont restés trois jours sans manger.

Quoi qu’il en soit, les alliés ne se crurent pas en mesure de pousser immédiatement leurs avantages. Ils s’arrêtèrent là où la victoire les avait conduits, c’est-à-dire à deux lieues environ vers le nord de leur point de débarquement, le Paso de la Patria, et ils s’y retranchèrent. Sous le rapport défensif, la position de ce lieu, appelé Tuyuti, était bonne. C’est une langue de terre presque complètement entourée par l’Estero-Bellaco ou par les cours d’eau qui l’alimentent ; elle couvrait bien les alliés, mais par contre elle avait le défaut de ne pas offrir des débouchés faciles, inconvénient réel pour une armée qui devait tôt ou tard reprendre l’initiative. On le reconnut bientôt lorsqu’au mois de juillet le général Florès attaqua les lignes que les Paraguayens étaient venus établir sur la gauche des alliés, en un lieu nommé Potrero-Sauce, qui commande en effet dans cette direction les débouchés de Tuyuti. L’action fut sanglante, et, quoique les Paraguayens y perdissent 2,500 hommes, tués ou blessés, ils gardèrent leurs positions.

Cet insuccès fit changer pour un temps le plan d’opérations des alliés. Renonçant à pousser devant eux l’armée qui leur faisait face, ils essayèrent de la tourner par sa droite, c’est-à-dire par le fleuve Paraguay, en employant les bateaux cuirassés qui commençaient à leur arriver. L’idée était juste, comme l’expérience le démontra plus tard, mais à la condition d’être appliquée autrement qu’elle ne le fut d’abord. Le maréchal Lopez sentait bien aussi que c’était le point faible de son système, et que la conséquence inévitable du passage des alliés par le fleuve était de le forcer à abandonner presque sans coup férir tout ce terrain sur lequel il espérait que ses ennemis viendraient perdre leurs efforts et leur santé. Aussi depuis quelque temps s’occupait-il très activement de perfectionner et de multiplier les moyens de défense si formidables qu’il avait déjà établis sur le fleuve et que nous avons décrits plus haut. Dans cette vue, il avait tout récemment changé ce qui n’était d’abord qu’une simple batterie de côte à Curuzu, à une lieue au-dessous de Curupaity, en un camp retranché armé d’une quinzaine de pièces de gros calibre, sans compter les canons de campagne, et occupé par une division de û ou 5, 000 hommes sous les ordres du général Diaz. La position était forte, défendue de presque tous les côtés par le fleuve ou par un carrisal : on ne pouvait l’aborder que par une berge étroite. Les alliés cependant se décidèrent à l’attaquer. Un corps de 14,000 hommes, commandé par le général Porto-Alegre et soutenu par 7 canonnières cuirassées, fut chargé