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partent pour aller se jeter, plus au sud encore, dans le vaste estuaire de la Plata, après avoir traversé les états argentins de Corrientès et d’Entre-Rios, deux noms dont le sens indique assez clairement quelle est la configuration topographique de ces contrées. Il résulte de cette configuration que le Paraguay, dans l’état actuel de la civilisation américaine, ne peut être attaqué militairement ni par le nord, ni par l’est, ni par l’ouest. Au nord, on a vu ce qui est arrivé aux Paraguayens quand ils ont voulu opérer, même avec de très faibles détachemens, dans le Matto-Grosso. Par l’est, c’est-à-dire sur le cours du Parana supérieur, une attaque ne serait pas plus facile, on n’y trouverait pas plus de routes, ni d’habitans, ni de ressources ; on y trouverait encore plus de forêts, plus de cours d’eau, plus de terrains inondés et impraticables à tout le matériel qu’une armée traîne après elle. D’ailleurs, appliquant avec la rigueur la plus absolue le système d’isolement politique et commercial qu’il avait imposé au Paraguay, le docteur Francia a fait dans le temps détruire et évacuer les quelques centres de population que les jésuites, en vue des facilités de transport que pouvaient offrir le Parana et ses affluens, avaient jadis fondés dans ces contrées. Par la frontière de l’ouest, c’est-à-dire du côté du Paraguay, toute entreprise militaire serait encore bien plus impossible, s’il existait des degrés dans l’impossible. De ce côté, le Paraguay ne confine qu’à un immense désert s’étendant depuis le pied des Andes jusqu’à la rive droite du fleuve, sur laquelle les Paraguayens possèdent à peine quelques établissemens. C’est le désert du Grand-Chaco, où errent les misérables et rares débris des quelques tribus indiennes qui ont pu échapper au joug de la civilisation en se réfugiant dans ce vaste océan de verdure, de lacs, de marais et de rivières. Le Paraguay, situé au milieu des terres, n’est donc abordable que par le Parana inférieur ; c’est la seule route ouverte à une invasion.

Loin de se développer sur une surface plane, le continent de l’Amérique, qui s’étend en latitude presque d’un pôle à l’autre, se présente par ses reliefs et dans ses parties promises à la civilisation sous la forme de deux grands bassins qu’unit l’isthme du Mexique et que sépare, dans le voisinage de l’équateur, la mer des Antilles. L’un, celui du nord, que possèdent presque complètement les États-Unis, est plus large que l’autre, car de New-York à San-Francisco on compte 50 degrés de longitude, et 25 à peine de Rio de Janeiro à Lima, dans l’Amérique méridionale ; en revanche, le bassin du sud est beaucoup plus allongé que l’autre, s’étendant du nord au sud depuis la vallée de l’Amazone jusqu’aux confins de la Patagonie sur plus de 40 degrés de latitude, tandis qu’il en est à peine 16 de différence entre Québec et la Nouvelle-Orléans. Comme traits distinctifs, il faut encore remarquer que l’un est entièrement