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LA GUERRE DU PARAGUAY.

devant l’ennemi qu’aux premiers jours du mois de juin 1865, six semaines seulement après l’invasion de Corrientès. Il y a lieu au contraire de louer la promptitude et l’efficacité de leurs résolutions, car ils débutèrent par un brillant succès. Lopez venait de commettre l’imprudence d’envoyer au-devant de l’escadre brésilienne une flottille composée de huit navires, parmi lesquels il n’en était pas un qui put être qualifié de bâtiment de guerre ; il s’ensuivit un combat livré, le 11 juin, dans les eaux de Riachuelo, sur le Parana, à quelques lieues au-dessous de Corrientès. Malgré la très grande bravoure qu’ils déployèrent en cette occasion, comme d’ailleurs dans toutes les actions de la guerre, les Paraguayens furent complètement battus, leurs navires furent pris, détruits ou mis hors de service. Leur chef, le capitaine Mesa, mourut quelques jours après des suites de sa blessure à Humayta, où Lopez, dans la fureur que lui avait inspirée cet échec, l’avait fait jeter en prison. Le véritable auteur du désastre était cependant celui qui avait donné l’ordre de livrer ce combat inégal ; mais c’est ainsi qu’on l’a vu se conduire pendant toute la guerre : téméraire, imprudent quand il s’agissait des autres, prodigue sans nécessité au sang de ses soldats, exigeant d’eux des choses impossibles, en même temps que très prudent pour lui-même et très préoccupé de sa sécurité personnelle. Ses adversaires, qui ont eu tant de généraux tués ou blessés sur le champ de bataille, reprochent au maréchal Lopez de n’avoir jamais été aperçu au milieu du feu. À cela ses aides-de-camp, entre autres le lieutenant-colonel Thompson, répondent qu’il y a une excellente raison pour qu’il en soit ainsi : c’est que le maréchal s’est toujours tenu fort soigneusement à l’écart, et que, même quand il était avec l’armée, mais toujours à distance respectueuse et hors de la portée des canons, il s’ingéniait encore pour échapper aux lunettes de l’ennemi, circulant en compagnie de deux ou trois personnes pour ne point attirer l’attention, changeant l’uniforme de ses cent-gardes, remplaçant leurs casques par les chapeaux de paille du pays, dans la crainte qu’en les voyant aller et venir on ne parvînt à deviner la position de son quartier-général.

Le combat de Riachuelo ouvrit les yeux au général Roblès sur la réalité de la situation. Ne trouvant pas d’appui dans le pays, voyant grossir chaque jour les forces de ses ennemis, et séparé de sa base d’opérations par le Parana qu’il avait à dos, il craignit d’être coupé de ses communications par l’escadre brésilienne, maîtresse de la navigation du fleuve, et se mit en mesure d’évacuer le Corrientès pour rentrer dans le Paraguay. Quand il eut connaissance de ce projet, le maréchal Lopez en conçut une grande irritation ; il envoya aussitôt le général Bruguez prendre le commandement de l’ar-