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une partie des hommes de race latine ou germanique fixés en Turquie. Toutes ces races, actives à des degrés divers, faisant depuis quelques années de rapides progrès, on ne peut guère douter qu’elles n’aient avant peu la force entre les mains, et qu’ainsi elles fassent violemment, à un moment donné, la révolution tentée pacifiquement par la Sublime-Porte. Cette révolution s’opérerait plutôt contre les pachas, les cadis et les soldats turcs que contre le sultan lui-même, parce qu’elle serait sociale plus encore que politique. Comme elle aura lieu certainement, si les réformes tentées ne peuvent aboutir, l’impuissance du gouvernement turc se trouvera alors démontrée doublement par cet insuccès et par cette révolution. Il n’est pas douteux qu’alors les peuples de l’Europe, sinon la plupart des gouvernemens, prendront parti pour les chrétiens et laisseront périr l’empire ottoman.

Les efforts du pouvoir actuel en Turquie sont assurément méritoires ; peut-être ne sont-ils pas bien coordonnés et exempts de quelque confusion. Aucune des réformes projetées ne peut se faire sans argent, et le pays est tellement arriéré et mal exploité qu’il ne fournit pas les fonds nécessaires à un pareil remaniement. Il faut de l’argent pour l’instruction publique à créer, il en faut pour le développement de la flotte, pour la réorganisation de l’armée et son nouvel armement, pour les nouvelles institutions politiques, pour les sociétés commerciales, pour les établissemens de crédit ; il en faut surtout pour les routes, pour les chemins de fer, dont l’absence placerait la Turquie fort au-dessous de la Russie, qui fait les siens. Le sultan, à bout de ressources, emprunte, emprunte toujours : il promet à ses créanciers des intérêts énormes, il hypothèque ses meilleures sources de revenu. Il appelle les étrangers, le plus souvent des spéculateurs, qui viennent faire la banque avec forts intérêts et grosses commissions ; l’argent emprunté passe entre leurs mains et ne produit dans le pays que la dixième partie des effets qu’il produirait chez nous. La situation financière du sultan est donc fort difficile et le deviendra de plus en plus pendant quelque temps. Il est dans la condition d’une compagnie industrielle, d’une société immobilière, par exemple, qui emprunte de fortes sommes pour bâtir et qui compte sur la vente ou sur la location de ses futures maisons ; cependant les années s’écoulent, et l’argent aussi, les maisons s’élèvent et ne s’achèvent pas, les intérêts de l’argent emprunté continuent de courir, les locations et les ventes rapportent moins qu’on ne l’espérait ; enfin on établit ses comptes, on se trouve forcé de suspendre les travaux et les paiemens, et l’on fait faillite. Nous n’avons parlé que des mécomptes sans faire la part des dilapidations, toujours à craindre en Turquie.