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possible de créer un système financier analogue à ceux des peuples civilisés de l’Europe.

Le contrôle dans la perception des impôts aura nécessairement pour conséquence la fixation équitable des budgets et le règlement des dépenses. Jusqu’ici, le sultan, comme successeur du prophète et vicaire d’Allah, a été maître absolu de la terre et de ses produits. Il en est résulté une effroyable dilapidation des deniers publics : on paie largement un pacha pour qu’il soit fidèle, et il ne l’est pas ; le pacha fait de même à l’égard du cadi ; ce dernier de son côté croit acheter par de larges et avantageuses conditions la fidélité de ses secrétaires, qui le trompent, et au-dessous de ceux-ci il y a encore leurs valets. Or la dépense remonte, puisqu’en définitive tout cet argent vient du trésor, après avoir été extorqué aux populations. Celles-ci restent découragées par l’énormité d’impôts arbitraires, les bras languissent, la terre demeure inféconde, la misère pèse sur les provinces et en décime les habitans. Le gouvernement actuel a senti que la réforme devait commencer par le sultan lui-même, car si celui d’aujourd’hui paraît modéré en comparaison de ses prédécesseurs, il peut avoir pour successeur un prodigue. Le sultan a donc créé récemment un conseil des finances, dont le rôle est de discuter et de fixer chaque année le budget des recettes et des dépenses. On ne peut pas méconnaître les excellentes intentions d’Abdul-Aziz et de son grand-vizir ; mais qu’est-ce qu’un conseil de finances nommé par le sultan, que le sultan peut changer ou détruire, et qui n’est pas soutenu par des contrôles indépendans à tous les degrés de l’échelle administrative ? Il n’y a que les institutions populaires qui puissent retenir les princes en leur inspirant une certaine terreur, et ces institutions ne sont bonnes ou même possibles que chez des peuples éclairés. Là donc on se trouve encore en présence de la création d’une instruction publique libérale et égale pour tous, gratuite, s’il est possible, et, s’il est possible, obligatoire. Si une telle chose existait, dans dix ans la réforme financière et administrative s’accomplirait d’elle-même ; mais dans l’état présent des choses, la corruption s’exerçant du haut en bas, la servilité et la cupidité règnent à tous les degrés. L’habitude qu’on prend chez soi de traiter ainsi avec les hommes et d’acheter leurs services fait que l’on use des mêmes moyens à l’égard des étrangers. On paie des journalistes pour vanter les uns et injurier les autres ; on croit nécessaire d’en entretenir sur toutes les places politiques de l’Europe, sans songer que la découverte d’un seul d’entre eux déconsidère un gouvernement, et lui fait plus de tort que tous les autres ne peuvent lui rendre de services.

Avec l’ignorance disparaîtront les mauvaises lois, avec les