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les appeler tour à tour dans les nouveaux logemens à mesure qu’ils seraient prêts. Pendant tout ce temps, il aurait à prendre garde que la destruction d’une aile n’entraînât le vieil édifice dans sa ruine et n’y ensevelît ses habitans. La Turquie en est là. Quand les réformes entreprises seront terminées, il ne devra pas rester un seul morceau de l’ancien bâtiment, au moins sans qu’il ait été transformé et adapté à la construction nouvelle. On opère en ce moment sur presque tous les élémens sociaux de la Turquie, religion, enseignement, administration, justice et finances, des réformes importantes. Le jour viendra où le sultan s’apercevra que chacune de ces réformes l’atteint lui-même, amoindrit ou circonscrit son autorité absolue, et que, si l’on réussit à les accomplir, il en sortira roi constitutionnel.

Cette conclusion se trouve tellement en opposition avec tout le passé de l’islamisme, avec l’état présent de la Turquie, que l’on se prend à douter de la possibilité du succès. D’ailleurs beaucoup de tentatives ont échoué déjà, beaucoup de promesses sont restées vaines ; la volonté du sultan, qui semblerait devoir être toujours exécutée, puisqu’elle est absolue, est venue se briser souvent contre l’inertie des agens secondaires, contre l’intérêt qu’ils ont à ne rien changer, enfin contre des abus invétérés dont la suppression détruirait l’inégalité des races, et dont la conservation fait toute la force des oppresseurs.

Si le sultan n’avait à lutter que contre les vieilles prétentions musulmanes, il parviendrait à les vaincre, car il est non-seulement le roi, mais le pape de ses sujets et le commandeur des croyans. Le Koran à la main, il pourrait démontrer aux populations musulmanes que les superstitions ont été condamnées par le prophète, aux ulémas qu’ils tiennent du successeur de Mahomet toute leur autorité, et qu’il est le maître de la leur retirer, s’il le veut, aux derviches qu’ils n’existent que par des déviations de la loi, à tous les gens d’église que les propriétés sur lesquelles ils vivent sans travail sont des biens usurpés, dont il est, comme représentant de Dieu, le seul propriétaire légitime. Ainsi, pour le dire en passant, il aurait pu, de son autorité privée, résoudre cette fameuse question des vacoufs, qui a fait tant de bruit dans ces dernières années, et qui, si elle avait été tranchée comme elle devait l’être, aurait rendu productifs pour l’état tant de biens tombés en mainmorte. L’affaire des biens d’église était plus facile à régler pour le sultan, revêtu à la fois du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, que pour les gouvernemens d’Italie ou d’Espagne qui, n’ayant pas le second, pouvaient paraître des persécuteurs.

Mais le vrai problème religieux de la Turquie naît de la diversité des cultes, et de l’état d’infériorité et d’oppression où la religion chrétienne y laisse ses sectateurs. C’est l’appui moral prêté à ces