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haut, et, négligeant ce qui peut être déjoué par l’accident de demain, recherchons quelles sont dans le pays les raisons d’être de la monarchie constitutionnelle, quels motifs peuvent en faire espérer le triomphe, quelles craintes peuvent rester sur son établissement.


IV.

Nous avons vu que le trait particulier de la France, trait qui la sépare profondément de l’Angleterre et des autres états européens (l’Italie et jusqu’à un certain point l’Espagne exceptées), est que le parti républicain constitue dans son sein un élément considérable. Ce parti, qui fut assez fort pour renverser Louis-Philippe et pour imposer quelques mois sa théorie à la France, fut après le 2 décembre l’objet d’une sorte de proscription. A-t-il disparu pour cela? Non, certes. Les progrès qu’il a faits en ces dix-sept dernières années ont été très sensibles. Non-seulement il s’est maintenu en possession de la majorité dans Paris et les grandes villes, il a conquis des pays entiers; toute la zone des environs de Paris lui appartient. L’esprit démocratique, tel que nous le connaissons à Paris, avec sa raideur, son ton absolu, sa simplicité décevante d’idées, ses soupçons méticuleux, son ingratitude, a conquis certains cantons ruraux d’une façon qui étonne. Dans tel village, la situation des fermiers et des valets de ferme est exactement celle des ouvriers et des patrons dans une ville de manufactures; des paysans vous y feront de la politique rogue, radicale et jalouse avec autant d’assurance que des ouvriers de Belleville ou du faubourg Saint-Antoine. L’idée des droits égaux de tous, la façon de concevoir le gouvernement comme un simple service public qu’on paie et auquel on ne doit ni respect ni reconnaissance, une sorte d’impertinence américaine, la prétention d’être aussi sage que les meilleurs hommes d’état, et de réduire la politique à une simple consultation de la volonté de la majorité, voilà l’esprit qui envahit de plus en plus, même les campagnes. Je ne doute pas que cet esprit ne fasse tous les jours des progrès, et qu’aux prochaines élections il ne se montre, partout où il sera le maître, plus exigeant, plus intraitable encore qu’il ne l’a été cette année.

Le parti républicain pourra-t-il cependant devenir un jour la majorité et faire prévaloir en France les institutions américaines? Je ne le crois pas. L’essence de ce parti est d’être une minorité. S’il aboutissait à une nouvelle révolution sociale, il pourrait créer de nouvelles classes; mais ces classes deviendraient monarchiques le lendemain de leur enrichissement. Les intérêts les plus pressans de la France, son esprit, ses qualités et ses défauts lui font de la