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germanique, force qui n’a pas d’autre raison d’être que la crainte de la France. Ce jour-là même cessera probablement le désir d’unité politique, désir si peu conforme à l’esprit germanique et qui n’a jamais été chez les Allemands qu’une mesure défensive, impatiemment tolérée, contre un voisin fortement organisé.

Ce seul point changé dans le programme primitif de l’empereur Napoléon III suffirait pour modifier tout ce qui a trait au gouvernement intérieur. L’empereur Napoléon III n’a jamais cru pouvoir gouverner sans une chambre élective; seulement il a espéré rester longtemps, sinon toujours, maître des élections. C’était là un calcul qui n’aurait pu se réaliser qu’avec de perpétuelles guerres, de perpétuelles victoires. Le gouvernement personnel ne se maintient qu’à la condition d’avoir toujours et partout gloire et succès. Comment pouvait-on espérer qu’à moins d’un éblouissement de prospérité le pays déposerait éternellement dans l’urne le bulletin que l’administration lui mettait dans la main? Il était inévitable qu’un jour la France voulut se servir de l’arme puissante qu’on lui avait laissée, et prît une part de responsabilité dans ses affaires. En politique, on ne joue pas longtemps avec les apparences. On devait s’attendre à ce que le simulacre de gouvernement parlementaire que l’empereur Napoléon III avait toujours conservé devînt une réalité sérieuse. Les dernières élections ont fait passer cette supposition dans le domaine des faits accomplis. Les élections de mai et juin 1869 ont montré que la loi de notre société ne pouvait être celle du césarisme romain. Le césarisme romain fut également à son origine un despotisme entouré de fictions républicaines; le despotisme tua les fictions; chez nous au contraire, les fictions représentatives ont tué le despotisme. Cela n’arriva pas sous le premier empire, car le mode d’élection du corps législatif était alors tout à fait illusoire. Rien ne prouve mieux que les événemens de ces derniers mois combien l’idéal de gouvernement créé par l’Angleterre s’impose par la force des choses à tous les états modernes. On dit souvent que la France n’est pas faite pour un tel gouvernement. La France vient de prouver qu’elle pense le contraire; en tout cas, si cela était vrai, je dirais qu’il faut désespérer de l’avenir de la France. Le régime libéral est une nécessité absolue pour toutes les nations modernes. Qui ne pourra s’y accommoder périra. D’abord le régime libéral donnera aux nations qui l’ont adopté une immense supériorité sur celles qui ne pourront s’y plier. Une nation qui ne sera capable ni de la liberté de la presse, ni de la liberté de réunion, ni de la liberté politique, sera certainement dépassée et vaincue par les nations qui peuvent supporter de telles libertés. Ces dernières seront toujours mieux informées, plus instruites, plus sérieuses, mieux gouvernées.