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avec des apparences de gouvernement parlementaire habilement réduites à la nullité; au dehors, rôle brillant et actif, rendant peu à peu à la France, par la guerre et la diplomatie, la place de premier ordre qu’elle possédait, il y a soixante ans, parmi les nations de l’Europe, et que depuis 1814 elle a perdue.

La France, pendant dix-sept ans, a laissé faire cette expérience avec une patience qu’on pourrait appeler exemplaire, si jamais il était bon pour une nation de trop pratiquer l’abnégation quand il s’agit de ses destinées. Où en est l’expérience? Quels résultats a-t-elle amenés?

Peut-on dire d’abord que la nouvelle maison napoléonienne se soit fondée, c’est-à-dire ait créé autour d’elle ces sentimens d’affection et de dévoûment personnel qui font la force d’une dynastie? Il ne faut pas à cet égard se faire d’illusion. L’égoïsme, le scepticisme, l’indifférence envers les gouvernans, la persuasion qu’on ne leur doit aucune reconnaissance, ont totalement desséché le cœur du pays. La question est devenue une question d’intérêt. La fortune publique ayant pris un grand accroissement, si la question se posait en ces termes : révolution, — pas de révolution, le second terme obtiendrait une immense majorité ; mais souvent un pays qui ne veut pas de révolution fait ce qu’il faut pour l’amener. En tout cas, ces sentimens d’effusion tendre et de fidélité que le pays avait autrefois pour ses rois, il n’y faut plus penser. Les personnes ayant pour la dynastie napoléonienne les sentimens que le royaliste de la restauration avait pour la famille royale pourraient se compter. Il n’y a presque pas de légitimistes napoléoniens ; voilà un fait dont le gouvernement ne peut assez se pénétrer.

La partie du programme de l’empereur Napoléon III relative à la gloire militaire et au rôle prépondérant de la France avait sa grandeur, et ceux qui, du point de vue des intérêts généraux de la civilisation, sont reconnaissans à l’empereur de la guerre de Crimée et de celle d’Italie, ne peuvent juger avec sévérité tous les points de la politique étrangère du second empire; mais il est clair que la France n’est nullement à l’unisson de pareilles idées. Mis au suffrage universel, le plébiscite, pas de guerre réunirait une majorité bien plus forte encore que pas de révolution. La France actuelle n’est pas plus héroïque que sentimentale. La prépondérance d’une nation européenne sur les autres est d’ailleurs devenue impossible dans l’état actuel des sociétés. Les intentions menaçantes imprudemment exprimées de ce côté du Rhin (et ce n’est pas le gouvernement qui à cet égard a été le plus coupable ou le plus maladroit) ont provoqué chez les nations germaniques une émotion qui tombera le jour où elles seront rassurées sur l’ambition qu’elles ont pu nous supposer. Ce jour-là cessera la force de la Prusse dans le corps