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qui portaient notre provision de riz s’étaient attardés. Il fallut les attendre longtemps ; nous payâmes presque tous tribut à la fièvre.

Telle fut notre première étape dans le Laos birman. Les cases se distinguent de celles du Laos siamois par une plus grande élévation au-dessus du sol et la longueur du toit en chaume, qui retombe de façon à cacher complètement la maison. Celle-ci ressemble à une meule de paille sur des tréteaux. Au-dessous, les porcs dorment à l’aise, et les bœufs trouvent un abri commode. Ces derniers errent dans les gras pâturages en troupeaux considérables. Malgré leur grande abondance, nous ne pouvons réussir à nous en procurer. Une nourriture plus substantielle que le riz à l’eau et des poulets étiques nous aurait pourtant été nécessaire ; mais M. de Lagrée, dont les ressources pécuniaires se trouvaient déjà très réduites, jugeait avec raison qu’il serait imprudent de jeter d’un seul coup soixante francs dans notre cuisine. C’est le prix relativement exorbitant qui nous était demandé pour un bœuf. On trouve dans le genre de services rendus aux indigènes par ces précieux animaux l’explication de ces conditions inabordables pour nous. Le fleuve cesse d’être utilisé, et les transports, qui se font par terre, deviennent ruineux, même pour de courtes distances ; quand le voyage doit être un peu long et qu’il y a des risques à courir, comme il arrive presque toujours dans ces régions perpétuellement troublées, les propriétaires de bœufs élèvent encore leurs prétentions. Nous étions contraints de les subir, car rien ne nous autorisait à réclamer, ainsi que nous avions pu le faire dans le Laos siamois, le concours des mandarins, qui élèvent ou abaissent le prix des transports au gré de leurs intérêts ou de leurs caprices.

Le village de Muong-Line occupe le centre d’une plaine qui a plusieurs lieues de tour, et se convertit rapidement en un immense marécage. Le fleuve nous manquait ; nous étions accoutumés à le voir animer nos campemens, à remonter son cours par la pensée pour pénétrer le mystère de son origine, et plus souvent à suivre du regard ses flots rapides, qui allaient, avant de se perdre dans la mer, baigner et féconder une terre aujourd’hui française. Malgré le petit nombre de ses habitans, le village est tous les cinq jours le siège d’un marché. C’est à Luang-Praban que nous avons rencontré pour la première fois depuis le Cambodge cette exposition périodique ou permanente des choses nécessaires à la vie, véritable institution dont il faut être privé pour en apprécier la valeur. Le marché de Muong-Line n’a pas une grande importance. On y vend quelques légumes et quelques fruits, des pêches petites et vertes, mais que nous trouvions délicieuses en les mangeant les