Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imposer des conditions humiliantes et léonines. Ces conditions ne furent acceptées qu’après deux engagemens nouveaux où la supériorité des armes européennes triompha encore une fois de l’héroïsme indiscipliné des Birmans. Le traité de Yandabô posa en Birmanie les bases de la puissance anglaise. Celle-ci s’est développée plus tard, et l’empire birman est entouré aujourd’hui par une vaste ceinture de territoires conquis, s’étendant de Moulmein, dans le golfe de Martaban, à Sodiva, situé sur le Brahmapoutre, au point où ce grand fleuve, sortant du Thibet, s’infléchit brusquement à l’ouest pour aller se jeter dans le golfe du Bengale en dessinant un angle droit.

Le patriotisme a survécu à la conquête, et la haine, pour être impuissante, n’en est restée que plus vive. Elle est refoulée dans le cœur des vaincus comme la nationalité birmane elle-même, que la force des armes a concentrée autour du berceau de son ancienne grandeur. Reconnaissant trop tard qu’ils étaient incapables avec leurs propres ressources de repousser les Anglais, les Birmans ont essayé de leur opposer des Européens : vaines tentatives dont aucune n’est restée impunie, et auxquelles la France est demeurée étrangère, bien que des Français s’y soient associés ! — Nous avions l’espoir que le souvenir de d’Orgoni, le dernier et le plus célèbre parmi ceux de nos compatriotes qui ont mis leur intelligence et leur courage au service de l’empereur des Birmans, favoriserait notre passage chez les vassaux de ce souverain ; mais d’un autre côté n’était-il pas à craindre que les princes éloignés d’Ava par plus d’un mois de marche ne fussent hors d’état d’établir une distinction entre les diverses nationalités occidentales et disposés à nous traiter en ennemis ? Nous en étions sur ce point réduits aux conjectures, et nous ignorions jusqu’à la nature du régime politique imposé aux populations laotiennes soumises au gouvernement birman. Le mandarin, chef du village de Sien-Kong, où les plus cruelles incertitudes prolongeaient notre halte, consentit enfin, non sans peine, à nous conduire aux limites de son territoire ; mais le roi de Sien-Tong, son voisin, nous laisserait-il passer outre ? M. de Lagrée avait expédié à ce souverain de magnifiques cadeaux (une descente de lit, une cuillère en ruolz), accompagnés d’une lettre d’un style tout oriental et rédigée de façon à ce qu’il la comprît le moins possible. S’il était maître absolu, il nous refuserait probablement le passage ; mais, dépendant d’Ava, peut-être craindra-t-il de se compromettre. Or il faut quarante jours pour aller chercher des instructions dans la capitale, et nous serons chez lui quand il recevra notre lettre. — Nous nous efforcions de suppléer par des hypothèses de cette nature aux renseignemens précis qui nous manquaient.