lait et au beurre, huîtres cuites, œufs brouillés, poulet, tarte, etc. Couché dans son lit, il mangeait avec une sérénité olympienne, sans hâte et sans repos. Sa capacité étonnait tous les spectateurs. Quatre mois après il nous écrivait du Vermont : Mon bras gagne de la force rapidement, je crois qu’il vaudra presque l’autre ; ma santé générale est parfaitement bonne[1]. »
Tous les amputés n’avaient pas cet appétit de Gargantua, mais tous étaient largement nourris, tous étaient mis au régime du punch aux œufs et de l’essence de bœuf, et, si l’on en croit miss Woolsey, l’expérience justifiait cette pratique chirurgicale qui a tout au moins l’avantage de ne pas être désagréable au soldat.
Il n’est pas besoin d’être médecin pour juger la valeur d’un pareil régime, non plus que le mérité d’une invention qui a contribué puissamment à chasser le scorbut de l’armée et des hôpitaux, je veux parler des jardins d’hôpital établis par la commission sanitaire. Chacun sait que les légumes frais sont à la fois le préservatif et le remède du scorbut. « Cent mille francs dépensés en légumes frais, disait Baudens, c’est 500,000 francs épargnés sur les frais que nécessite l’entrée des malades aux hôpitaux[2]. » Mais il n’est pas toujours possible de fournir de légumes frais une armée campée au loin. En pareil cas, pourquoi l’armée, où les paysans abondent, n’établirait-elle pas elle-même les potagers dont elle a besoin ? C’est ce qu’avait fait en Crimée, pour son régiment, un colonel qui mérite vraiment le titre de père du soldat, M. de Clonard, commandant du 81e de ligne ; il faut lire dans le livre de M. Chenu le rapport de cet officier[3] : c’est tout un règlement d’hygiène qui devrait être le bréviaire de nos officiers. Transplantée en Amérique, cette idée s’y est épanouie et y a donné tous ses fruits. Une armée en mouvement ne peut faire de jardins ; mais pour un hôpital c’est chose facile. D’ordinaire le terrain ne manque pas, et les hommes abondent. Ce qu’il y a de plus gênant dans un hôpital, ce ne sont pas les malades, la maladie est une occupation, ce sont les convalescens qui ne savent que faire pour eux et pour les autres. Leur oisiveté est une malédiction. Leur donner un potager à cultiver, c’est tout à la fois les distraire et les occuper utilement ; leur corps n’y gagne pas moins que leur esprit.
C’est en 1863 que le premier jardin d’hôpital fut établi par la commission sanitaire. L’armée du Cumberland, menacée du scorbut, avait résisté, grâce aux « avalanches » de légumes frais