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d’Amérique ; ce sont les plus riches et les plus heureuses qui ont donné l’exemple de l’abnégation et du dévoûment. Parmi ces héroïnes de la charité, il en est une dont le nom deviendra légendaire aux États-Unis, c’est Mme Barlow. Au printemps de 1861, miss Arabelle Griffith, jeune, belle, instruite, considérée, riche, épousait M. Barlow. Le jour même de son mariage, M. Barlow partait pour Washington, simple soldat dans un régiment de New-York. En peu de temps, grâce à son courage et à ses talens militaires, M. Barlow s’éleva aux plus hauts grades et devint général. Mme Barlow suivit toutes les campagnes de son mari, d’hôpital en hôpital. Elle était à Fredericksburg, occupée à préparer la nourriture des blessés, tandis qu’on entendait le canon de la bataille et que son époux bravait tous les dangers. Épuisée par un labeur incessant, elle mourut de la fièvre devant Petersburg. Il y avait des sœurs de charité aux États-Unis, elles y ont rendu de grands services ; mais jamais les femmes d’Amérique n’ont voulu abandonner, même à de saintes filles, le droit de soigner les malades et les blessés. En un temps où toute la jeunesse de la nation était sous les drapeaux, elles ont payé de leur personne ; elles ne se sont pas contentées d’être charitables par procuration.

Dans cette œuvre patriotique, elles étaient soutenues par le pays tout entier. Du moindre village, de l’est ou de l’ouest, partaient chaque semaine les dons destinés aux hôpitaux. Chemises de flanelle, robes de chambre, gants tricotés, pantoufles, fauteuils à bascule, béquilles, livres, papier, crayons, ardoises, damiers, jeux d’échecs, dominos, couteaux, ciseaux, outils, lait condensé, porter, vin d’Espagne, eau-de-vie, bocaux de conserves au vinaigre, etc., toutes ces offrandes étaient reçues par les cinq cents correspondans de la commission sanitaire, estampillées, empaquetées, et dirigées sur tous les points du pays. « L’excellent porto qui nous a été si utile dans les diarrhées chroniques, écrit miss Woolsey, et toute la bonne eau-de-vie nous venaient de cadeaux particuliers. Le vin fourni par le gouvernement ne valait rien[1]. » À côté des largesses du riche, on trouve l’obole de la veuve. « Je déroule un paquet d’écharpes, dit miss Woolsey ; elles sont faites avec une étoffe fanée, à fleurs jaunes, quelque chose comme des rideaux de lit. Sur un papier fixé par une épingle, une main tremblante a écrit : L’étoffe était si bonne que j’ai pensé qu’on ne ferait pas attention à la couleur. C’est tout ce que j’ai. Je suis vieille et pauvre, je ne peux pas faire davantage[2]. »

Est-ce donc que l’Amérique est plus généreuse que la France ? Non ; mais nous avons dans l’administration une providence

  1. Hospital Days, p. 61.
  2. Ibid., p. 104.