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besoins du moment. Il y a une hygiène officielle et réglementaire, les intendans y sont fidèles, et c’est par cela même qu’avec les meilleures intentions, et en toute sûreté de conscience, ils font le mal, croyant faire le bien. Jamais intendant et médecin ne s’entendront sur le sens du mot encombrement. Pour un intendant, dès que chaque malade a 20 mètres cubes d’air à respirer, la règle est observée, il n’y a pas d’encombrement. Le médecin s’inquiète peu de ces prescriptions artificielles ; pour lui, il y a encombrement dès que l’air cesse d’être pur et que le bâtiment est empesté ; l’infection se traduit par l’aggravation des maladies et l’accroissement de la mortalité. On ne fait que commencer à se rendre compte de ces élémens morbides qui peu à peu s’accumulent dans les hôpitaux. Les Américains, éclairés par l’expérience, déclarent qu’après dix ans de service tout hôpital est empoisonné et qu’il faut le détruire. Nos médecins n’en sont pas encore là, je crois qu’ils y viendront ; mais dès aujourd’hui les meilleurs hygiénistes regardent nos grands hôpitaux civils comme des foyers d’infection, comme des temples élevés à la fièvre et à la mort. C’est bien pis en guerre avec le cortège de maladies que toute armée traîne après elle. Disséminer les blessés et les malades, les plonger en quelque façon dans un bain d’air pur, afin d’assurer à chacun d’eux les meilleures conditions de guérison, c’est l’ambition de tous nos médecins ; mais l’intendance n’en est pas là, et, quand elle y sera parvenue, la science aura fait un nouveau pas, l’administration sera arriérée comme toujours.

La guerre d’Italie n’a duré que deux mois, l’armée n’a pas tardé à rentrer en France, et néanmoins, dans le court espace de temps que nos troupes ont passé de l’autre côté des Alpes, nous avons perdu presque autant de soldats par la maladie que par le feu de l’ennemi. Je crois que nous en aurions perdu davantage, si nous n’avions eu au grand quartier-général un homme que je suis heureux de signaler à la reconnaissance publique, c’est le médecin en chef de l’armée, le baron Larrey. Avec une douceur inaltérable et un dévoûment qui ne s’est jamais lassé, le baron Larrey a desserré autant que possible le nœud administratif qui gêne nos médecins et paralyse leur activité. On voit qu’il a toujours devant les yeux l’exemple de la Crimée. Sa pensée constante, c’est de prévenir à tout prix l’encombrement, d’abord pour conjurer les épidémies, ensuite pour faire de la chirurgie conservatrice, c’est-à-dire pour épargner aux blessés ces mutilations qui font de la vie un supplice. Personne n’aurait fait plus que M. Larrey, j’oserai dire que personne n’aurait fait autant que lui ; mais, qu’il le sache ou non, sa correspondance est la condamnation de notre administration militaire.