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ambulances comptaient quatre ou cinq fois plus de chirurgiens que les nôtres. Est-ce donc que la guerre a changé de caractère ? Y a-t-il moins de soldats sous les armes, les rencontres sont-elles moins formidables, les moyens de destruction moins meurtriers ? Tout au contraire, les batailles sont des massacres, les engins nouveaux fauchent d’un seul coup des régimens entiers. Du jour au lendemain, il faut relever, transporter, amputer, panser 10 ou 20,000 blessés… Dans une armée moderne, le service de santé est un des besoins les plus grands et les plus pressans ; il ne paraît pas qu’en 1859 l’administration française s’en soit inquiétée. A peine a-t-on passé les Alpes que les médecins en chef de tous les corps se plaignent de l’insuffisance du personnel et du matériel. Qu’est-ce qu’une ambulance de à médecins par division ? Comment suffiront-ils aux amputations et aux pansemens ? Le médecin en chef de l’armée, le baron Larrey, qui a au plus haut degré le sentiment de la responsabilité qui pèse sur lui, se hâte d’agir auprès du ministre de la guerre ; il lui fait demander par le général Roguet un supplément de 300 médecins. Le ministre trouve ce chiffre si considérable, qu’il écrit à l’empereur pour lui déclarer que l’administration de la guerre est hors d’état de satisfaire à de pareilles exigences. Il faut se réduire, on se contente de 150 ou 160 médecins auxquels on adjoindra 150 sous-aides, c’est-à-dire des jeunes gens qui auront plus de bonne volonté que de science. Voilà tout ce que peut obtenir le médecin en chef de l’armée, appuyé par le Conseil de santé. Aussi est-il obligé de recourir aux médecins et aux étudians sardes, dont un assez grand nombre n’entendent pas ou ne parlent pas le français. Ce n’est là que le moindre mal. Les médecins italiens sont zélés, mais ils appartiennent encore à la terrible école de Broussais. Saigner et mettre des sangsues, c’est toute la pratique italienne ; fièvre typhoïde, résorption purulente, diarrhées, toutes ces affections que le médecin moderne traite en soutenant le malade, ne sont pour les docteurs italiens que des cas de typhus ou de gastro-entérite qu’il faut combattre à coups de lancette. « Après les canons rayés, écrit un médecin français, je ne connais rien de plus dangereux que les médecins de Turin, qui pratiquent la médecine antiphlogistique sans mesure et sans intelligence[1]. » Je ne sais si la critique est fondée, mais elle est unanime chez nos médecins.

Insuffisans par leur petit nombre, les médecins de l’armée d’Italie le sont bien plus encore par le peu d’action qu’on leur laisse. Il semble que l’administration ne les connaisse pas ; on les regarde comme des agens inférieurs, des infirmiers dont la place est à l’hôpital, sous la direction de l’intendant et du comptable. Quand l’armée française

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier. p. 521.