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pour le service des ambulances du 1er corps. Afin d’économiser le peu de linge dont nous disposons, j’ai fait requérir des habitans une certaine quantité de mousse destinée aux fomentations d’eau froide.

« Je vous informe avec regret que, par suite de l’inexpérience ou des préoccupations nombreuses de l’intendance, plus de 800 blessés ont été nourris pendant quatre jours par la commisération publique.

« Les régimens et les ambulances continuent à manquer de médicamens, de même que nous sommes dépourvus d’infirmiers militaires. »


Dira-t-on que c’est là le désordre inséparable du premier moment ? Ce serait une pauvre excuse pour une administration qui se glorifie de suffire à tout ; mais cette excuse même ne vaut rien. Le 24 juin, on rencontre l’ennemi à Solferino ; il y a plusieurs jours qu’on le cherche ; cette bataille qui va décider du sort de l’Italie, elle est prévue, elle est attendue ; tout doit être prêt. Comment a-t-on soigné nos blessés ? Écoutons l’intendant en chef de l’armée. « A Solferino, dit-il, des ambulances volantes, composées de mulets à cacolets, auxquels on joignit des caissons du train, furent dirigées sur les points où l’action était engagée pour relever les blessés et les porter aux ambulances. Il en fut ainsi amené 10,212 du 25 au 30 juin ; mais un petit nombre pendant les journées du 29 et du 30[1]. » Dans ce simple récit, songe-t-on ce qu’il y a de souffrances accumulées et de souffrances inutiles ? Se figure-t-on le désespoir d’un malheureux qui meurt sans secours ? Y a-t-il rien de plus poignant que la misère du soldat blessé à qui on fait attendre trois ou quatre jours les soins qui, donnés à propos, lui auraient conservé un membre et souvent même sauvé la vie ? Toutes ces victimes n’ont-elles pas le droit de nous reprocher notre ingratitude ?

La cause principale de toutes ces souffrances, c’est le défaut de médecins. Il n’y avait point en Italie le quart de ce qu’il eût fallu de médecins et de chirurgiens pour soigner nos blessés et nos malades. — En 1830, sous la restauration, l’armée qui fit la conquête d’Alger comptait 30,000 hommes ; elle menait avec elle 180 médecins d’ambulances, et hôpitaux de première ligne, — 6 médecins pour 1,000 hommes d’effectif. En Crimée, au mois de mai 1855, pour une armée de 108,000 hommes, on ne comptait plus que 78 médecins d’ambulances et hôpitaux de première ligne, — 0,72 médecins pour 1,000 hommes d’effectif. En Italie, au mois de juin 1859, l’armée est de 160,000 hommes ; il y a 132 médecins d’ambulances et d’hôpitaux de première ligne, — 0,82 médecins par 1,000 hommes d’effectif[2]. C’est un chiffre tout à fait insuffisant. Sous le premier empire, qu’on n’accusera pas d’une sensibilité exagérée, les

  1. Statistique de la campagne d’Italie, p. XVI.
  2. Ibid., t. Ier, p. XVII.