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l’hygiène, beaucoup d’hygiène, toujours de l’hygiène sur une vaste échelle[1]. »


« Ne pas profiter des enseignemens que donne la guerre de Crimée, ce serait un crime de lèse-humanité. » Quand Scrive poussait ce cri d’honnête homme, il oubliait que la vie de nos soldats est dans les mains de l’administration, c’est-à-dire d’un corps excellent pour appliquer un règlement, mais incapable de se réformer lui-même. Certes tous les gouvernemens qui se sont succédé en France depuis cinquante ans ont eu à cœur le bien-être du soldat. Je ne crois pas qu’il y ait eu un seul ministre de la guerre qui ne se soit occupé d’améliorer la condition de l’armée, et je suis convaincu que l’intendance a toujours eu les meilleures intentions. Avec ce bon vouloir général, comment expliquer que les erreurs et les abus s’éternisent en France ? Pourquoi se refuse-t-on aux améliorations les plus évidentes ? C’est que l’administration n’est pas une personne ; c’est une machine qui, une fois montée, va d’elle-même. Il n’y a nulle part ni liberté, ni responsabilité. Avouer qu’on s’est trompé, exciter l’opinion, provoquer l’intervention des chambres, leur demander de l’argent, beaucoup d’argent, soulever l’opposition des bureaux, blesser dans son amour-propre et ses prérogatives un corps laborieux et puissant, c’est là un travail d’Hercule ; nos ministres ne sont pas des demi-dieux. En Angleterre, une pareille entreprise n’est pas au-dessus des forces humaines, parce que le ministère se fait gloire d’être le serviteur de l’opinion : il prend pour point d’appui la presse, seule puissance que personne n’intimide, seule voix que rien n’empêche de dire la vérité ; mais en France, où le gouvernement a peur des journaux et n’aime que le silence, toute réforme avorte misérablement devant la résistance des intérêts menacés. Voilà pourquoi on se croit politique en cachant à tous les yeux les plaies qu’on guérirait en les étalant au grand jour. Reconnaître une erreur est contraire aux règles fondamentales de notre système ; l’administration française ne se trompe jamais ; elle le croit sincèrement, et ne voit pas que le châtiment de toute autorité infaillible, c’est l’impuissance et l’immobilité.

Si l’on trouve ce jugement sévère, qu’on lise la Statistique médico-chirurgicale de la campagne d’Italie ; on verra si les pièces officielles ne nous donnent pas raison. La guerre d’Italie éclate au mois de mai 1859 ; mais elle est prévue tout au moins depuis le 1er janvier. On se rappelle les paroles menaçantes adressées par l’empereur à l’envoyé d’Autriche. L’administration militaire n’a rien

  1. Statistique de la guerre d’Italie, p. 766-768.