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essaie de mettre l’administration en garde contre les menaces du typhus ; il n’est ni plus écouté ni plus heureux que son devancier. Je ne sais rien de plus honorable pour la médecine militaire que ces lettres de Baudens ; je ne sais rien de plus écrasant pour notre système d’administration.

Le 26 février 1856, Baudens écrit de Constantinople au ministre de la guerre :


« La marche du typhus continue à être ascendante. Il se déclare en moyenne cent cinquante nouveaux cas par jour dans les hôpitaux de Constantinople. Il y a dans certains hôpitaux une situation grave, tendue ; il y faut apporter un prompt remède. Le meilleur est simple : de l’air, toujours de l’air, encore de l’air pur et renouvelé ! Pour cela, il nous faut plus d’espace ; il faut bien vite transporter la moitié de notre population hospitalière sous les baraques inoccupées de Maslak, y faire un grand campement, un grand bivouac. Voilà ce que je dis et écris du matin au soir à qui de droit.

« On me promet pour le 1er mars trois mille places sous baraque (j’en avais demandé cinq mille) ; ce sera très insuffisant, d’autant plus qu’il nous vient de Crimée de nombreuses évacuations.

« Une erreur qui se propage parmi nos autorités, et que je m’efforce de détruire parce qu’elle pourrait avoir de déplorables conséquences, c’est de comparer le typhus au choléra, et de croire que le mal disparaîtra de lui-même. Le choléra, dont on ignore la cause, a une marche ascendante que rien n’a encore pu arrêter ; arrivé à son maximum d’intensité, il décroît et s’éloigne rapidement. Le typhus au contraire, dont on connaît la cause productrice, la misère, persiste jusqu’à ce que celle-ci ait disparu. Son élément est le miasme humain, devenu contagieux, et dont le foyer a d’autant plus d’intensité qu’un plus grand nombre de typhiques sont accumulés sur un même point…

« Nous avons des baraques pour loger 25,000 soldats ; elles attendent une population ! Hâtons-nous de les occuper.

« Ouvrir des baraques au fur et à mesure que les malades nous arrivent de la Crimée, c’est se laisser envahir tout doucement par les flots de la marée montante.

« Pourquoi n’allons-nous pas plus vite ? C’est apparemment qu’il y a dans l’exécution des difficultés dont je ne me rends pas un compte exact. Ainsi j’ai entendu, dans une de nos conférences, M. l’intendant objecter à mon projet la « défense ministérielle » de faire des ambulances hors de la Crimée.

« Le conseil est facile à qui n’a pas de responsabilité ; aussi je n’ose pas me plaindre, tout en déplorant la situation qui m’est faite[1]. »

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. 757.