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J’ouvre au hasard le livre de M. Chenu, j’y trouve des lettres comme celles-ci :

« Constantinople, 23 novembre 1854.

« M. le maréchal, ministre de la guerre.

« L’hôpital de Gulhané à reçu les 21, 22 et 23 de ce mois, trois évacuations de blessés, de fiévreux et de marins scorbutiques de la Crimée, même quelques cholériques.

« Ni M. l’intendant de l’armée, ni M. l’intendant de Constantinople ne m’ont donné avis de ces évacuations ; je n’ai eu connaissance de celle du 23 qu’en me rendant à Gulhané.

« Je n’ai pas été consulté sur le choix des locaux à occuper, ni sur la répartition des malades ; aussi, blessés, scorbutiques, fiévreux, etc, ont été portés pêle-mêle à Gulhané comme l’autre jour à Péra[1].

« Michel Lévy, inspecteur du service de santé. »

  • Constantinople, 29 novembre 1854.

« Au même.

« Dès le mois de juillet dernier, j’ai eu l’honneur de signaler à votre excellence, ainsi qu’à M. le commandant en chef et à M. l’intendant de l’armée, le danger des grandes agglomérations de malades à l’occasion de l’installation à l’hôpital de Péra, qu’ils s’agissait de porter à 1,800 ou même 2,100 lits. Depuis que cet hôpital compte plus de 1,200 malades, l’infection purulente s’y multiple chez les blessés, les opérations y sont entourées de plus de risques, la mortalité augmente ; quatre officiers ont succombé en trois jours… et pour achever la démonstration de la cause réelle de cette insalubrité croissante, l’hôpital de Dolma-Batché, placé à 400 mètres de celui de Péra, sur la même hauteur, mais limité à un effectif de 500 malades, continue ses succès et ses guérisons.

« Des deux côtés mêmes talens, mêmes soins, même propreté, même régime, mêmes malades ; une seule différence, le chiffre des malades, mais l’expérience a depuis longtemps démontré qu’au-dessus de 800 malades les hôpitaux s’infectent malgré toutes les précautions avec nos blessés et nos opérés en suppuration, avec nos dyssentériques et les scorbutiques de la marine. Cette accumulation de malades peut, d’un moment à l’autre, engendrer des affections contagieuses et meurtrières.

« Si je n’étais pas ici un directeur purement nominal du service de santé, j’aurais les droits et l’initiative nécessaire pour prévenir de pareils dangers ; mais j’ai dû me borner à les notifier à M. l’intendant, qui me répond placidement : « Je les déplore avec vous ; mais le moment ne me paraît pas venu d’y approter le remède que vous indiquez. »

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. 733.