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le soldat français ne reçoit les soins auxquels il a droit. Il est moins bien traité que le soldat anglais ou américain.

En temps de paix, la nourriture que reçoivent nos soldats est insuffisante ; il y faudrait ajouter 40 ou 50 grammes de viande pour répondre aux besoins d’un estomac de vingt ans. Tandis que nos marins sont largement nourris, nos soldats en sont réduits à une ration des plus maigres. En outre cette nourriture n’est point assez variée. Magendie a depuis longtemps démontré que la santé s’altère quand l’alimentation est uniforme. Ici encore, il suffirait de prendre exemple sur la marine, et d’introduire dans l’ordinaire de nos soldats le fromage, la choucroute, le poisson fumé ou salé, les haricots, les pois, les lentilles. La vigueur de nos matelots tient à des causes diverses, mais la nourriture y entre pour quelque chose ; c’est une leçon dont l’armée pourrait profiter. Une autre condition de la santé, c’est la propreté du corps. Je ne dirai pas qu’en France l’administration militaire la néglige, elle ne la connaît pas. Nos soldats ont de l’eau pour se laver la figure et les mains, mais Ils n’ont pas de serviette pour s’essuyer, et d’ordinaire, malgré toutes les défenses, ils s’essuient avec leur drap de lit, leur chemise ou leur mouchoir. Les Romains ne bâtissaient pas une caserne sans y installer des bains chauds ; nos soldats n’en ont jamais vu, on ne les habitue même pas à se laver les pieds. Quel peut être l’air des chambrées où couchent ces pauvres gens ? Qui peut résister à cette atmosphère infecte ? Ajoutez qu’un grand nombre de casernes sont étroites, qu’il n’y a pas même l’espace voulu pour fournir la quantité nécessaire d’air respirable, et vous comprendrez alors les ravages que la phthisie et la fièvre typhoïde font parmi nos jeunes soldats. La nature se venge du mépris qu’on fait de ses lois. Tandis que la population française prise en masse, jeunes et vieux, ne perd annuellement que 5 pour 100 de ses membres, l’armée, la partie la plus robuste du pays, perd annuellement 10 pour 100.

Quand la mortalité est aussi grande en temps de paix, que doit-elle être en temps de guerre ! L’expédition de Crimée nous répondra : nous avons perdu 95,615 hommes ; combien en est-il resté sur le champ de bataille ? 10,240 ; on évalue à un chiffre à peu près égal ceux qui sont morts des suites de leurs blessures ; c’est un total de 20,000 hommes environ. La maladie en a emporté 75,000. En calculant sur l’effectif moyen pendant la guerre, la mortalité par blessures a été de 34 pour 1,000, et la mortalité par maladie a été de 121. Chez les Anglais, placés dans les mêmes conditions, mais fort éprouvés la première année, la mortalité annuelle a été par blessures de 23 pour 1,000, et par maladie de 93. Dans l’hiver 1856-1857, en un temps où il n’y avait plus d’hostilités régulières, et où nous n’avons eu que 323 blessés, il est entré dans les hôpitaux français 12,872