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La Prusse, avons-nous dit, offre ce caractère distinctif et original d’être un gouvernement de droit divin fondé sur deux institutions démocratiques, renseignement obligatoire et gratuit et le service militaire universel. Or des principes opposés ne peuvent subsister longtemps face à face, l’un d’eux entreprend sur l’autre. Il ne pouvait manquer d’arriver, ou que le pouvoir se laissât modifier par les institutions, ou qu’insensiblement il les tirât à lui en les faussant. Pour savoir ce qu’est la royauté prussienne, quel esprit l’anime, il suffit d’examiner ce qu’elle prétend faire de l’école et de l’armée.

Il était admis dans les républiques anciennes que l’état doit se charger de répandre parmi les citoyens l’amour du bien public et des lois, de donner à toutes les âmes la même forme par une éducation commune. Dans l’antiquité, tout était simple ; dans les sociétés modernes, tout est compliqué. A Sparte, la religion se confondait en quelque sorte avec l’état ; le prêtre n’était qu’un fonctionnaire civil, et les dieux avaient été sécularisés comme le clergé. L’avènement du christianisme dans le monde a tout changé ; l’église et l’état sont devenus deux puissances absolument distinctes l’une de l’autre, et qui, le plus souvent rivales, engagées dans d’insolubles conflits, poursuivent dans l’éducation des buts différens, quelquefois contraires. L’état se propose de faire des citoyens, l’église de faire des croyans, et les vertus civiques ne s’accordent pas toujours avec les vertus confessionnelles.

La question des rapports de l’église et de l’école est aujourd’hui en Allemagne sur le premier plan. Des bords du lac de Constance jusqu’à Breslau, dans les chambres, dans les congrès comme dans les assemblées populaires, on la discute, on la résout en des sens divers, et partout elle passionne les esprits. Il semble que ce problème offre moins de difficultés dans les pays protestans. Un clergé marié a des intérêts communs avec la société, un clergé national ne dépend point d’un souverain étranger. En Prusse, le roi est le chef, le patron de l’église évangélique, son évêque, et il la gouverne par l’entremise d’un haut conseil ecclésiastique qui relève directement de lui ; mais depuis longtemps la Prusse est devenue par ses conquêtes un pays mixte. Le catholicisme y est dominant dans quatre provinces, Posen, la Silésie, la Westphalie et le pays rhénan ; c’est la religion d’un tiers de la population totale de la Prusse. La royauté prussienne, à qui le sens politique ne fit jamais défaut, a très franchement accepté cette situation ; elle a pris pour règle de sa conduite un système d’équité en matière religieuse auquel on a donné le nom de paritarisme, et Rome a eu rarement à se plaindre de ses relations avec Berlin. « Un ministre ou un prince protestant, a dit un jour M. de Varnbüler, a ce grand avantage dans ses rapports avec le saint-père qu’il ne peut être mauvais catholique. »