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aussi quelque raison de prétendre que la maison ascanienne, dont Albert l’Ours fut le premier margrave, n’eut garde de dépeupler le pays en exterminant les Wendes, qu’elle se contenta de les soumettre, de les convertir, qu’elle se fit aider dans cette tâche par les templiers et les chevaliers de Saint-Jean, qu’appelant dans la Marche des colons allemands, elle favorisa de tout son pouvoir le mélange des deux races et les mariages entre les deux noblesses. Un historien hanovrien, M. Schaumann, dans un manuel de l’histoire des Guelfes qu’il destinait à l’enseignement des gymnases, oppose aux races allemandes pures, dont les Hanovriens tiennent la tête, les races et les provinces de l’Allemagne orientale, où l’élément slave s’est trouvé en lutte avec l’élément germanique, et où le premier a eu jusqu’à nos jours le dessus.

Ces explications guelfes nous paraissent insuffisantes. Il est possible qu’il y ait dans le sang prussien quelques gouttes de sang wiltze ou obotrite. Le malheur ne serait pas grand pour la Prusse, ce sont les mélanges de races qui font les peuples fortement trempés. A coup sûr, les Prussiens ne sont pas des Slaves. Par leurs qualités et par leurs défauts, ils ressemblent aussi peu aux Russes qu’aux Polonais ; ils sont à cent lieues de cette anarchie géniale, héroïque et folle du liberum veto, à cent lieues aussi de cette obéissance passive qui tremble sous la verge et de loin en loin se venge de ses soumissions par d’effroyables révoltes. Il n’est pas de nation moins fantaisiste, moins chevaleresque, plus étrangère à la souplesse du Slave, à sa facilité d’humeur, à ses généreux élans ; leur bon sens les préserve de toutes les folies dangereuses, ils ne feront jamais la guerre pour une idée, et quand d’aventure ils ont l’air de s’éprendre d’une dulcinée, on peut être sûr qu’elle a une dot. D’autre part, il n’est pas de nation moins moutonnière, moins servile ; si leurs maîtres leur ont donné jadis des coups de bâton, ils leur expliquaient pourquoi, et ils étaient tenus d’avoir raison. Les Prussiens sont le peuple le plus disciplinable et le plus discipliné de la terre ; mais leur discipline raisonne, elle est ennoblie par l’esprit public. Ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont devenus, s’explique bien mieux par les situations que par les Obotrites, et ce sont bien des Allemands qui habitent les bords de la Havel et de la Sprée, mais des Allemands dont une éducation particulière, commandée par les circonstances, a fait des Prussiens.

« Vous autres habitans de Francfort et des contrées où croît la vigne, vous êtes plus riches que nous, s’écriait naguère un député prussien dans le Reichstag, et pourtant sur notre sol stérile et dur à cultiver on a vu pousser et grandir l’arbre qui couvrira un jour l’Allemagne de son ombre. Notre pauvreté a su trouver les ressources nécessaires pour créer la grande patrie. » La richesse de la Prusse