Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/772

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils ont popularisé la vie du désert, les mœurs des Arabes dans le Sahara ; ils ont raconté l’existence singulière de ces tribus éparses qui ne peuvent vivre, dans un pays presque entièrement dépourvu d’eau et de végétation, qu’à la condition de se déplacer toujours et de promener leurs troupeaux, du nord au sud, sur d’immenses espaces. Dans ces récits, singulièrement attachans, le but du général Daumas était plutôt encore d’intéresser que d’instruire.

Dans le nouveau volume qu’il offre au public, l’auteur ne mêle plus, comme dit le poète latin, l’utile à l’agréable. Il a fait et voulu faire un livre sérieux, sévère, presque un livre de science. Il n’avait montré jusqu’ici la société musulmane que sous ses aspects pittoresques, de manière à piquer la curiosité des gens du monde, tout au plus à préparer le voyage des touristes ; aujourd’hui il l’étudie dans ses caractères les plus profonds, il l’analyse par ses côtés les plus vivaces, il en va chercher les racines à travers les siècles, dans le passé le plus reculé. Il poursuit les origines de cette société jusque dans son berceau, l’Arabie, par-delà le prophète lui-même ; il en dévoile les traditions, les préjugés, les superstitions. Son but est de faire bien connaître le peuple arabe à tous ceux qui sont appelés à vivre avec lui, à l’armée, à l’administration, aux colons eux-mêmes. Il veut qu’on ménage les susceptibilités fanatiques de cette race, et qu’on évite à tout prix « ces fautes contre la religion et contre les mœurs que les vaincus ne pardonnent jamais. »

Nous ne suivrons pas le général Daumas dans la description détaillée, minutieuse des mœurs, des coutumes religieuses du peuple arabe. C’est un véritable dédale que ces traditions où il se fait fort de nous diriger. S’il n’a pas exagéré l’ombrageuse susceptibilité de la race conquise, il faut convenir que nous devons la blesser bien souvent, car les ménagemens pour le peuple arabe sont chose inconnue en Algérie. Ici nous entendons parler, non pas de l’administration qui s’attache au contraire à protéger et presque à faire revivre les traditions des indigènes, qui relève leur culte en réparant les mosquées, qui rajeunit leur langue en ouvrant des écoles, qui leur réserve une place dans tous les conseils de l’administration locale, mais des colons ou des soldats. C’est à ceux-là surtout que s’adresse le livre de M. le général Daumas ; il leur enseigne les précautions à prendre, les égards à conserver ; mais nous avons lieu de craindre que ces enseignemens ne restent stériles, et qu’on n’en tienne pas grand compte. Pour l’Européen qui a vieilli en Algérie, comme pour le nouvel arrivant, le peuple arabe est toujours le peuple vaincu ; c’est lui qui doit se plier à notre civilisation, à nos usages, à nos besoins.

Cette prétention est-elle d’ailleurs si blâmable ? Est-il sensé ou chimérique de compter s’attacher les Arabes par des mesures généreuses et désintéressées ? Est-ce par de bons procédés, par la persuasion ou par la force que nous arriverons à triompher de cette inertie indigène, de cette