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simplement religieuse en apparence aurait rallumé tous les conflits. Étrange manière de « porter remède aux maux du temps ! »

Que le concile se prononce dans un sens ou dans l’autre sur cette grave affaire de l’infaillibilité pontificale, le « temps » ne restera pas moins ce qu’il est, avec ses contradictions, ses crises inévitables et ses embarras de toute sorte dans l’ordre matériel aussi bien que dans l’ordre moral : témoin cette agitation qui se produit aujourd’hui autour des traités de commerce, dont les uns demandent bruyamment la dénonciation, les autres le maintien. A Rouen, à Lille, à Mulhouse, à Roubaix, à Bordeaux, à Marseille, les meetings se succèdent, les manifestes se croisent dans l’air ; le régime économique de la France est violemment mis en cause, et ici encore, qu’on nous permette de le dire, il est à craindre qu’à des maux réels on ne cherche un remède qui ne serait peut-être guère plus efficace que ne le serait l’infaillibilité du pape pour les maladies morales du siècle. Au milieu de ces tourbillons de doléances, le gouvernement de son côté a voulu faire quelque chose : il a réorganisé le conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, en le chargeant d’une enquête. Naturellement ce qu’a fait le gouvernement n’a contenté personne, puisque ce n’était qu’un médiocre palliatif jeté en pâture à des passions ardentes. La question de forme joue ici un certain rôle. Il faut l’avouer, le gouvernement s’est trompé dans la forme, non par intention, mais par habitude d’omnipotence. Il ne s’est pas trompé, comme on lui en a fait le singulier reproche, parce qu’il a placé dans le conseil supérieur des hommes tels que M. Rouher, M. Michel Chevalier, dont l’opinion est connue, — ce qui reviendrait à dire que les principaux défenseurs de la liberté commerciale doivent être exclus de l’examen des affaires économiques. Le gouvernement s’est trompé tout simplement parce qu’il faisait une enquête administrative, et qu’on est blasé sur les enquêtes administratives, qui ne conduisent le plus souvent qu’à des déceptions, à des fictions. Il s’est trompé de plus en agissant avec un certain décousu, en ayant l’air de faire une place inégale aux hommes qu’il appelait dans le conseil. Une enquête parlementaire eût mieux valu sans nul doute, quoiqu’elle ne soit pas en vérité aussi facile qu’on le pense. Ce qui eût été préférable encore, c’eût été une commission qu’on aurait composée d’hommes spéciaux chargés d’étudier l’état des choses sans parti-pris, moins préoccupés de justifier une opinion ou de défendre des intérêts que de recueillir des faits, préparant en un mot un dossier véridique et sincère qui aurait été soumis ensuite aux pouvoirs publics. Alors, dans le corps législatif comme dans le sénat, la discussion aurait pu se déployer en toute liberté et avec une véritable efficacité. Il n’y aurait eu aucun prétexte de suspicion dans cette enquête sérieuse et pratique, tandis que le renouvellement du conseil supérieur imaginé par le gouvernement n’a recueilli que des animadversions et des protestations qui ne rendent pas