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ses, souscripteurs, qui lui envoient cinquante centimes pour le concile en signant « un libéral converti, » ou « une ouaille, » ou « un enfant de la lumière, » et en ajoutant maintenant une prière pour la conversion de M. d’Orléans et de M. de Sura, ces grands hérétiques qui ont des doutes sur l’utilité des dogmes nouveaux.

Ainsi voilà les deux camps bien tranchés à la veille de ce concile qui doit donner la paix et la santé au siècle malade. L’infaillibilité du pape a pour elle la Civiltà, l’Univers, les ultramontains de tous les pays, l’archevêque de Westminster, M. Manning, l’archevêque de Malines, les évêques italiens et espagnols, une partie de l’épiscopat français. Dans l’autre camp, M. d’Orléans se déclare contre l’infaillibilité, et il n’est pas homme à s’être engagé légèrement, sans s’être assuré qu’il ne marchera pas seul ; la majorité des évêques français ne se séparera pas de lui. En Allemagne, le même drapeau a été levé, il y a quelques mois, par les catholiques rhénans, par l’épiscopat germanique lui-même réuni cet automne à Fulda, et depuis cette époque, dit-on, les évêques allemands ont envoyé un mémoire à Rome pour demander qu’on s’abstînt de soulever des questions propres à diviser le concile. Récemment la faculté de théologie de Munich a été interrogée sur les conséquences que pourrait avoir la proclamation du dogme nouveau dans les rapports de l’église et de l’état, et elle a répondu dans le sens le plus favorable aux droits du pouvoir civil. Il y a de grandes chances aussi pour que beaucoup d’évêques américains se rallient aux mêmes idées. La lutte est donc ouverte avant que le concile n’ait dit son premier mot. Quelle impitoyable manie ont les sectaires de pousser à la résistance même les plus fidèles, de provoquer les scissions ! Ceux qui engagent l’église catholique dans de telles aventures ne se doutent pas évidemment qu’ils la précipitent sur les écueils, et ils oublient cette réponse piquante du pape Pie IX lui-même à un prélat français qui, pour consoler le saint-père dans ses épreuves, lui rappelait la promesse de Jésus assurant que la barque de Pierre ne périrait pas. — « Oui, reprit le pape, il a promis que la barque ne périrait pas, mais il n’a pas parlé de l’équipage. » Le fait est qu’à pousser ainsi les choses à outrance, « l’équipage » pourrait courir d’étranges hasards. M. l’évêque d’Orléans est un esprit trop pénétrant pour n’avoir pas vu le danger de ces exhumations posthumes de l’omnipotence d’un Grégoire VII en plein XIXe siècle ; ses Observations sont d’un politique encore plus que d’un théologien. Il a vu surtout que le résultat d’une proclamation de l’infaillibilité pontificale serait une scission de plus en plus profonde entre le catholicisme et la société moderne, la séparation inévitable et peut-être immédiate de l’église et de l’état. Les gouvernemens qui se sont désintéressés jusqu’ici des affaires du concile s’en mêleraient forcément alors pour défendre leurs droits menacés par une dictature morale sans exemple, pour repousser ce qu’ils considéreraient comme un défi, et une question