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eussent pu consentir à signer ces vaines déclamations, s’ils n’avaient cédé à la nécessité de rallier à la protestation le plus de voix possible. Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’alliance a été payée assez cher. La raison politique a fait les frais du mariage. Et encore quelle a été la durée de ce mariage ? Chacun s’est mis de son côté à raturer, à interpréter le contrat. M. Bancel n’a eu rien de plus pressé que de revenir de Bruxelles pour faire dans une réunion publique le procès du parti libéral depuis l’assemblée constituante de 1789, depuis les thermidoriens jusqu’à aujourd’hui. C’était tout à fait à propos, on le comprend, au lendemain d’un acte de modération, et M. Bancel n’a pas été le seul.

Que reste-t-il donc de ce manifeste ? Rien, ou plutôt, nous nous trompons, de cette tentative éphémère de rapprochement entre des élémens dissemblables, comme de tous les incidens qui se succèdent depuis trois mois, il se dégage une lumière. Plus on regarde de près ces manifestations et tous ces incidens qui se sont déroulés dans ces derniers temps, plus on s’aperçoit qu’ils ont en définitive un résultat sérieux et utile. Ils simplifient la situation dans une certaine mesure ; il classent les esprits, ils rejettent d’un côté ceux qui au nom d’un idéal quelconque ont la prétention de s’emparer du pays par la violence ou par l’autorité dogmatique de leurs opinions, et ils font passer de l’autre côté tous ceux qui ne veulent d’aucun excès, qui ont avant tout le souci de fonder les institutions libres en France, qui croient enfin qu’on peut arriver au but par la fermeté, par une persévérance virile dans une incessante revendication de tous les droits, de toutes les garanties. Qu’on nomme cette masse chaque jour croissante opposition constitutionnelle, opposition démocratique, peu importe ; c’est toujours l’armée pacifique et libérale avec laquelle il faut désormais compter, et que le radicalisme révolutionnaire lui-même, s’il avait une victoire de hasard, trouverait certainement devant lui. L’empereur a évidemment interprété avec une parfaite justesse le sentiment public en disant que « le pays veut la liberté avec l’ordre. » Oui, la liberté sérieuse, complète, sans équivoque, et l’ordre intact. C’est sur cette base que peut s’opérer la réorganisation des partis et que peut se former enfin un ministère représentant la politique nouvelle. Ce ministère nouveau, nécessairement libéral, on a essayé de le faire avant la session, on n’a pas réussi ; c’est maintenant au corps législatif de le dégager en quelque sorte de son sein, de lui donner la force en lui assurant un point d’appui. Seulement ce n’est pas en vérité une œuvre facile, puisque déjà la division commence à se mettre parmi ceux-là mêmes qui ont pris l’initiative de l’interpellation du mois de juillet. Il y a eu ces jours derniers des réunions, des débats préliminaires, où M. Emile Ollivier semble avoir pris une remarquable attitude politique, au point de rallier une partie de l’ancienne majorité. Le plus clair jusqu’ici, c’est qu’une partie des cent-seize s’est retirée pour