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peut-être par un orgueil d’intelligence qui dans tous les cas n’aurait rien d’inavouable, l’empereur est convaincu que la révolution pacifique qui s’accomplit aujourd’hui est le développement direct et logique des réformes précédentes. C’est vrai jusqu’à un certain point, puisque sans ces réformes le mouvement actuel aurait pu tout au moins être singulièrement ajourné. Au fond, c’est une fiction, et, si l’on veut, la complaisance d’un esprit supérieur pour lui-même. Il suffit de relire les discours impériaux qui se sont succédé depuis 1860 pour mesurer le chemin qui a été parcouru, pour s’apercevoir qu’au lendemain des premières réformes du 24 novembre, on était encore bien loin de pressentir ou d’admettre, fût-ce comme une éventualité lointaine, toutes ces choses qui sont des réalités aujourd’hui, la responsabilité ministérielle, l’initiative rendue aux chambres, l’indépendance législative, en attendant l’abolition des candidatures officielles et une nouvelle loi électorale. C’est en 1860 que l’empereur traçait dans son discours l’idéal d’un corps législatif né à l’ombre de la constitution de 1852, et qui n’avait certes rien de commun avec le corps législatif tel qu’il sera un de ces jours. C’est alors aussi que M. Troplong, dans un mouvement d’effroi, s’écriait : « On avait cru dernièrement, à la suite de fausses interprétations, que nous étions à la veille de changer de régime politique et de passer à des institutions dont le pays a connu à ses dépens la faiblesse et les dangers. C’étaient de vrais fantômes et d’oublieuses illusions. Le gouvernement l’a formellement déclaré… » C’est donc une chose dangereuse de vouloir à tout prix se donner l’air de maintenir intact le principe de la constitution, de ne pas rompre avec le passé. Le pays n’y regarde pas de si près, il ne ferait pas un crime au souverain d’avoir changé ; il ne s’informe pas si les réformes de 1869 découlent absolument des réformes de 1860, et quand il voit qu’on se rattache si vivement à ce passé dont il ne veut plus, qui lui a donné l’expédition du Mexique, les défaillances de la politique extérieure de 1866, l’excès de certaines dépenses et de certains travaux, quand il voit cela, il s’arrête au moment de se laisser gagner à la confiance ; il se demande si ces apparences de liberté dont on le flatte ne sont pas encore le déguisement d’une omnipotence persistante. C’est justement la source de cette impression d’incertitude que laissent certaines phrases du discours prononcé hier au Louvre. Toute la question est là : ce passé qu’on invoque sans cesse, c’est le gouvernement personnel, et si la masse de la nation n’a aucune envie de désarmer le pouvoir de ses prérogatives nécessaires, il est bien certain qu’il n’a pas plus l’envie de voir se perpétuer les habitudes autocratiques du gouvernement personnel. L’empereur a exprimé une juste confiance en disant que « la participation plus directe du pays à ses propres affaires » doit être « pour l’empire une force nouvelle, » et nous ajouterons que la force vraie ne peut désormais venir pour