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et la force, » en faisant cette laconique déclaration, qui n’a d’ailleurs rien que de rassurant pour le pays : « L’ordre, j’en réponds. » C’est aussi le langage d’un esprit réfléchi qui sent trop la puissance du mouvement libéral contemporain pour résister à une éclatante volonté du pays. Le discours impérial cependant répond-il complètement à ce qu’on attendait ? Est-ce un de ces exposés décisifs qui éclairent et relèvent une situation, qui tracent une voie où il ne reste plus qu’à marcher ? Voilà justement la question. Nous ne parlons pas de ce qui intéresse notre politique extérieure ; pour l’instant, c’est là ce dont on s’occupe le moins. Par une anomalie singulière, l’empereur a fait un discours pour l’univers entier plus que pour la France. Il décrit à grands traits la marche de la civilisation contemporaine, la Russie affranchissant les serfs, les États-Unis émancipant les esclaves, l’Angleterre rendant justice à l’Irlande, le canal de Suez mariant la Méditerranée et la Mer-Rouge, le chemin de fer transatlantique s’ouvrant un passage à travers le continent américain, le concile enfin se préparant à faire une « œuvre de sagesse et de conciliation. » Nous n’en disconvenons pas, c’est un vaste tableau, qui ne nous renseigne guère toutefois sur les affaires de la France, à moins que le silence sur certains points n’ait aussi sa signification, et que l’empereur n’ait parlé du tunnel des Alpes ou des serfs de la Russie que pour ne rien dire de la Prusse et de l’Allemagne ; mais enfin ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La chose importante aujourd’hui, c’est ce que pense et ce que dit l’empereur de nos affaires intérieures, de la politique du gouvernement, des conséquences de nos dernières réformes. Sur ce point, l’empereur a évidemment pris son parti dans une certaine mesure ; Il croit à la puissance du bon sens public contre les excès de la presse et des réunions populaires ; il n’hésite pas à déclarer sans détour que « le pays veut la liberté. » Ce qu’il a entendu inaugurer par le sénatus-consulte de septembre, c’est « une ère nouvelle de conciliation et de progrès. « Il reste maintenant « à appliquer les principes qui ont été posés en les faisant entrer dans les lois et dans les mœurs, » et si l’empereur revient en finissant sur la nécessité de prouver que « la France est capable de supporter les institutions libres qui sont l’honneur des pays civilisés, » c’est que sans doute il accepte d’avance les conditions essentielles de ces institutions. Rien de mieux, et, à ne considérer que les grandes lignes, le cadre tracé par le souverain est assurément assez large pour qu’on puisse y faire entrer bien des progrès nouveaux.

Comment se fait-il cependant que cette impression première s’atténue bientôt, et finisse par une véritable incertitude ? C’est que malgré tout l’empereur se fait évidemment encore illusion à lui-même, c’est qu’il entend les institutions libres à sa manière, en homme peu accoutumé à compter avec ses ministres. Par une habitude familière à son esprit,