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découvrait des simulations, des fraudes, des violations aux statuts ou aux lois, alors les mécontens auraient dans ce rapport la base d’une action judiciaire. C’est là le système suivi, avec certaines variantes, en Angleterre et en Italie. Il se borne à offrir dans les circonstances graves à la minorité des actionnaires, c’est-à-dire à ceux qui se montrent le plus soucieux de leurs intérêts, les moyens de contrôle que nos lois mettent seulement à la portée de la majorité, c’est-à-dire de la masse crédule et inerte.

Si minime qu’elle soit en apparence, une telle institution serait sans doute féconde en résultats. Qu’on se rappelle l’histoire des derniers sinistres financiers en France, en Angleterre, en Italie : on sait qu’ils étaient prévus par certains groupes d’intéressés ; mais ceux-ci, ne formant qu’une minorité infime, ne parvinrent pas à faire entendre leurs voix dans les assemblées générales. Ni les administrateurs, ni les censeurs n’émanaient de leur choix ; ils n’étaient vraiment pas représentés dans la gestion des affaires sociales, et s’ils recouraient aux tribunaux, manquant de preuves positives pour appuyer leurs plaintes, ils étaient le plus souvent condamnés, alors qu’un éclatant désastre devait, quelques mois ou quelques années plus tard, justifier leurs réclamations. Si au contraire ils avaient eu le droit de demander une inspection, un rapport, aux délégués d’une chambre de commerce (et nous croyons que nos chambres de commerce eussent été à la hauteur d’une pareille mission), les fraudes, les irrégularités de toute nature auraient été mises au grand jour en temps utile, et la ruine se serait trouvée prévenue ou tout au moins limitée.

Dans cette étude, nous n’avons pas la prétention d’avoir signalé tous les points vulnérables de l’organisation actuelle des sociétés anonymes ; pour s’y donner carrière, la critique n’aurait pas besoin de se montrer bien ingénieuse. Tel n’était pas le but de ce travail ; nous n’avons pas voulu provoquer une révision générale de cette matière si importante, mais seulement appeler l’attention sur un point spécial et circonscrit. Il nous a paru curieux de montrer les efforts des législations étrangères pour fournir aux minorités d’actionnaires ce qui leur manque absolument chez nous, c’est-à-dire des moyens de contrôle, précautions tutélaires sans lesquelles leur vigilance est inutile, et leur énergie individuelle impuissante.


PAUL LEROY-BEAULIEU.