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vie et d’action. Cette opinion, qui est encore partagée de nos jours par quelques théoriciens, conduisait à rendre l’autorisation administrative nécessaire pour la création de ces sociétés, et par un enchaînement logique amenait l’état à les surveiller. Aussi la réglementation administrative se trouvait-elle fort minutieuse : en partant de ce principe, posé par Cambacérès, que « l’ordre public est grandement intéressé dans les sociétés par actions, parce que la crédulité humaine se laisse trop facilement séduire par les spéculateurs, » on avait soumis à l’agrément de l’état non-seulement la naissance des compagnies anonymes, mais l’homologation de leurs statuts et des modifications qu’on y voudrait introduire ; on avait aussi fixé un minimum pour le montant des actions et des coupons d’actions, en vue d’écarter autant que possible la masse du peuple de ces sociétés commerciales, signalées comme dangereuses. Les compagnies anonymes étaient donc peu nombreuses et privilégiées ; l’état exerçait sur elles une surveillance plus ou moins ouverte et rigoureuse, et le public le considérait comme moralement responsable des catastrophes qu’elles pouvaient subir.

Les nécessités de l’industrie et du commerce, ainsi que les progrès des saines doctrines économiques, entamèrent bientôt cette réglementation primitive. La science, mieux inspirée, traça d’une main plus ferme les limites de l’intervention de l’état, et agrandit le cercle de la liberté d’association. On reconnut d’abord que les personnes morales ont leur raison d’existence dans la liberté individuelle, dans les contrats et les conventions licites intervenus entre les parties, que l’état n’a aucun droit de les empêcher de naître, de les gêner dans leur indépendance. Ensuite il fut facile de démontrer que l’intervention administrative était insuffisante pour prévenir les abus et les désastres, et qu’elle avait le tort d’endormir les actionnaires en leur permettant de compter sur une protection extérieure souvent en défaut. Ces idées de progrès firent naître une série de lois ayant toutes pour objet de déroger à la législation établie par le code de commerce. La loi de 1856 sur les sociétés en commandite par actions, celle de 1863 sur les sociétés à responsabilité limitée, celle de 1867 sur les sociétés, le décret impérial de janvier 1868, portant règlement d’administration publique pour la constitution des sociétés d’assurance, sont en France les principales étapes de ce mouvement graduel, mais continu, d’émancipation des compagnies anonymes. En Angleterre, le même mouvement a commencé plus tard, mais s’est opéré plus vite, et maintenant il semble avoir atteint le but, dont nous sommes encore séparés en France par quelques débris de la législation primitive ; la loi de 1859 sur les joint stock banking companies et les deux lois beaucoup plus