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mouvemens de la vie extérieure nous fassent penser à l’ordre de la nature et à l’universelle nécessité qui en fait le caractère ? On n’arrachera jamais de nos consciences ainsi éclairées le sentiment des attributs qui nous distinguent des forces naturelles.

Psychologie de la conscience, psychologie de l’expérience, voilà les deux grandes écoles auxquelles peut être ramené tout le mouvement des études psychologiques contemporaines. Toutes deux concourent également à l’œuvre de la science de l’homme, et chacune d’elles y a son rôle à part, de manière à ce qu’elles ne peuvent se passer l’une de l’autre. A la psychologie de l’expérience appartient la recherche des lois ; à la psychologie de la conscience revient l’intuition des causes. Les lois des phénomènes ne se laissent point observer directement, pas plus dans la vie morale que dans la vie physique ; elles ne se révèlent à la science humaine qu’à la suite d’opérations plus ou moins laborieuses ayant pour but de les dégager de la variété des accidens qui les enveloppent. Les causes, qui restent inaccessibles à la science dans l’ordre des choses physiques, tombent au contraire ici sous l’œil de la conscience, et peuvent être étudiées et soumises à l’analyse par la réflexion s’emparant des données du sentiment. C’est ainsi qu’ont procédé les plus grands observateurs de la nature humaine, philosophes ou moralistes, analysant, décrivant et définissant les instincts, les penchans, les passions, les facultés de l’homme, au moyen des révélations du sens intime, tandis que d’autres observateurs s’attachent aux actes extérieurs, aux œuvres mêmes de ces facultés pour découvrir les lois de leur développement. Ces deux psychologies bien faites ne peuvent se contredire, pourvu qu’elles ne franchissent pas les limites de leur domaine propre. Si, par exemple, l’école de l’expérience nie le libre arbitre, c’est une conclusion qui dépasse la portée de sa méthode. Si l’école de la conscience soutient la liberté d’indifférence, la volonté sans motifs, par peur du déterminisme, et rejette toute espèce de loi dans la production des phénomènes volontaires, c’est qu’elle prétend tirer la science entière de l’homme des simples données de la conscience. Égale erreur, égale impuissance de part et d’autre, égal besoin de s’éclairer et de se compléter mutuellement.


É. VACHEROT.