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services d’une école qui répond à un point de vue nouveau dans l’étude de la nature humaine. N’oublions pas qu’il y a plusieurs manières d’étudier l’homme, et que chacune de ces méthodes est bonne à la condition de ne point poursuivre des problèmes qui ne sont pas de sa compétence. On a vu comment la méthode des naturalistes qui procèdent par la statistique, la méthode des historiens qui procèdent par l’érudition, la méthode des ethnographes qui procèdent par les explorations de voyage et les recherches de philologie, arrivent à des vues neuves et précieuses sur les races, les peuples, les œuvres, les institutions de l’espèce humaine, sans pénétrer jusqu’aux élémens simples, aux facultés primordiales qui constituent le fond de la nature humaine et forment la seule matière d’une véritable définition. Il en est de même de la méthode des psychologues de l’école de Stuart Mill et de Littré. Il est vrai qu’ils n’étudient plus l’homme dans la statistique des faits et dans l’histoire des races ; mais en l’observant dans la succession des faits de la vie individuelle c’est toujours du dehors et non du dedans qu’ils contemplent l’homme. Ils se trouvent ainsi placés vis-à-vis de leur objet à peu près comme les physiciens vis-à-vis de la nature. N’en pouvant voir l’intérieur, ils renoncent, eux aussi, à connaître les causes pour se borner à la recherche des lois.

C’est encore là un objet très intéressant pour la science, et que, par parenthèse, le genre d’observation usité dans l’école spiritualiste de Maine de Biran et de Jouffroy n’est pas propre à nous révéler. Stuart Mill l’a dit avec grande raison : la conscience ne peut pas plus apprendre à un homme à quelle loi son esprit obéit que la contemplation des corps qui tombent ne peut lui donner l’idée des lois de la gravitation[1]. Les travaux de Bain, de Spencer, comme de tous les psychologues physiologistes de l’école anglaise, ont puissamment contribué aux progrès de cette science positive et tout expérimentale de l’homme, qui se borne à constater les rapports des phénomènes psychiques et à en déterminer les conditions. Toute cette théorie de l’association des idées, par exemple, n’est pas simplement ingénieuse, elle est vraie par un côté et féconde en explications heureuses, du moment qu’il ne s’agit que de connaître les antécédens et les conditions d’un phénomène donné. De même que le système exposé dans le Traité des sensations de Condillac ne doit plus être tenu pour un paradoxe réfuté d’avance par le bon sens et le témoignage de la conscience, pourvu qu’on voie dans la sensation non plus le principe générateur, mais le point de départ et la condition de l’exercice de toutes nos facultés, de même la

  1. Stuart Mill (Psychologie de M. Alexandre Bain).