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saurait conclure qu’elle est véritablement celle des phénomènes dont nous venons de parler, à moins toutefois qu’elle ne puisse être expérimentalement démontrée[1]. »

S’agit-il d’expliquer la notion de cause et le principe de causalité, Stuart Mill et Bain ne voient dans la relation, soit accidentelle, soit constante, de l’effet à la cause qu’une simple association passée en habitude. En effet, quel autre lien pourrait-on supposer entre les deux termes, si la raison n’est que l’écho de l’expérience, ainsi que le professe l’école expérimentale ? Déjà Hume avait cru mettre ce point hors de doute, et en avait fait comme le pivot de tout son système. « La raison ne peut rien affirmer sur la relation proprement dite de causalité, ne pouvant sortir d’elle-même, ni s’élever au-dessus d’une proposition identique. À l’égard de l’expérience, elle nous apprend, il est vrai, que tel fait est ordinairement accompagné de tel autre ; mais elle ne nous autorise pas à dire : Tel fait est l’effet, le fruit de tel autre, et en résultera toujours. Nous sommes accoutumés à voir une chose succéder à une autre quant au temps, et nous nous imaginons que celle qui suit dépend de celle qui précède. Toutefois la sensation nous révèle seulement une simultanéité, une succession, une conjonction entre deux faits ; elle n’atteste pas de connexion nécessaire. Réduits à l’expérience, nous ne savons que ceci : il y a fréquemment coexistence ou suite entre les phénomènes. Inférer de là l’existence d’une liaison nécessaire, d’un pouvoir et d’une force, d’une cause enfin, c’est mal raisonner, c’est trop présumer. L’idée d’une liaison de ce genre est le fruit de l’habitude[2]. » C’est une thèse démontrée pour tous les philosophes anglais de cette école ; ils n’imaginent pas qu’on puisse scientifiquement expliquer la notion de cause et le principe de causalité par une autre loi que celle de l’habitude. Pour eux, comme pour leur maître Hume, la prétendue nécessité logique de ce principe se résout, quand on l’analyse, dans une simple association formée par l’expérience et transformée par l’habitude en cette disposition de l’esprit dont l’école de l’a priori fait une loi propre de la raison.

S’agit-il d’expliquer telle conception dite rationnelle, comme l’idée de l’infini dans le temps ou dans l’espace, l’école expérimentale ne trouve pas qu’il soit nécessaire de recourir à l’hypothèse d’aucune loi de l’esprit. Elle ne voit là que le résultat de cette association toute naturelle en vertu de laquelle l’idée d’une chose suggère en même temps l’idée d’une autre chose que l’expérience nous a toujours fait voir unie à la première. « L’expérience, dit Mill, ne

  1. La Psychologie de M. Alexandre Bain. Revue des Cours littéraires, 14 et 24 août.
  2. Traité de la nature humaine, liv. I, p. 270 et suiv., Essais, liv. IV, V et VII.